L’AMF (Autorité des Marchés Financiers) et l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel) viennent de publier un Guide du Financement Participatif (Crowdfunding) qui rappelle le contexte réglementaire du financement participatif en France. Il faut saluer ce travail qui recense l’ensemble des catégories de situation et explicite la position du régulateur pour chacune d’elles alors que précédemment régnait un grand flou réglementaire sur le sujet. Ce travail est aussi, comme l’a confié le régulateur aux Echos, un état des lieux préparatoires à la construction d’un cadre juridique spécifique plus adapté comme l’a confirmé le président de la république en clôture des Assises de l’Entrepreneuriat qui devrait déboucher sur des « propositions précises » en septembre.
Une bonne présentation didactique en est réalisée sur le site lafinancepourtous.com
Le contexte réglementaire est d’autant plus difficile à appréhender qu’il est éclaté entre différents niveaux de natures différentes :
- Les directive européennes
- Les textes législatifs français (dont certains sont de transposition des directives)
- Les amendements des textes législatifs français
- Les décrets et arrêtés
- Le règlement de l’ACP/AMF qui a valeur réglementaire
- Les instructions du gouvernement (instructions financières et instructions pénales)
- Les positions et instructions de l’ACP/AMF.
Le tableau suivant permet de donner un aperçu de la répartition des différents sujets du financement participatif : https://docs.google.com/spreadsheet/ccc?key=0AqGOdmzaTxLSdGVTcWlQTW9sM3VORDJmTFBmVjNVNnc#gid=0
Cette diversité de niveaux de la réglementation implique des forces légales et des latitudes d’interprétation différentes. L’ACP/AMF accompagne d’ailleurs souvent ses positions de la formulation « sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux français ». Une préconisation du régulateur sur un point non explicite des textes n’a en effet de force légale réelle qu’une fois qu’elle a été contestée et affirmée par un tribunal. Le régulateur exploite cet état de fait car, même si sa position est la plus incertaine d’un point de vue légal, il est le plus à même de tirer parti des délais des procédures judiciaires et d’exercer des contraintes menant à l’extinction de toutes actions portées à son égard.
Quelles conclusions tirer de l’analyse de ce document ?
Le premier point qui saute aux yeux est l’absence totale d’homogénéité des règles. En fonction du type d’activité (don, prêt rémunéré ou pas, capital), de la forme sociale (SA, SAS, association, coopérative), du mode de fonctionnement (pour compte de tiers ou en compte propre) et du type de relation avec des partenaires statutaires, les règles applicables seront différentes bien que le mécanisme de fonctionnement du financement et l’implication des utilisateurs soient similaires.
Cette absence d’homogénéité se traduit par une absence de lisibilité des mécanismes du crowdfunding pour les utilisateurs qui va à l’encontre de la protection des utilisateurs.
Ce qui est important dans le crowdfunding ce sont les projets plus que les moyens de financement qui peuvent être divers et hybrides et cela est une réalité difficilement compatible avec l’organisation actuelle de la réglementation.
Cette situation est logique car le financement participatif ne repose pas sur les mêmes principes que la finance traditionnelle :
- Il n’est pas structurée par les instruments de financement dans le sens où il peut reposer sur différents instruments de financement (don, prêt non rémunéré, prêt ou le capital), voire en proposer plusieurs, voire les combiner en des financements hybrides.
- Il est fondé sur une plus grande implication et des capacités accrues des utilisateurs dont la protection repose sur des principes différents des principes traditionnels de protection qui repose sur la caractérisation des utilisateurs, dépossède les utilisateurs usuels de toute capacité d’initiative et s’appliquent uniformément quel que soit les sommes considérées .
Le second point c’est l’application de la doctrine implicite du régulateur « vous devez entrer dans les cases existantes de la réglementation et si vous hésitez prenez les règles les plus contraignantes ».
Cela conduit à prescrire l’acquisition de « statuts » :
- Le statut d’Etablissement de paiement ou de mandataire lié pour la collecte et la conservation des montants financé des projets et notamment pour les plateformes non réglementée (don, contribution ou prêt solidaire) – ce qui n’exclut pas les autres plateformes pour les paiements électroniques –
- Le statut d’Intermédiaire en Opération de Banque et Service de Paiement qui nécessite l’adossement à un établissement de crédit partenaire pour les opérations de prêt.
- Le statut de Prestataire de Service d’Investissement (PSI) ou de mandataire de celui-ci pour les opérations sur titres ou capital et de Conseil en Investissement Financier (CIF) en complément éventuel.
L’acquisition de chacun de ces statut entraîne des coûts et des contraintes, soit en propres, soit en coûts variables sur les opérations qui ne sont aujourd’hui que peu compatibles avec le caractère de startups des plateformes actuelles.
Dans le droit français, de tradition de « droit positif », et notamment dans le droit bancaire et financier, toutes activités non identifiée en tant que telle est requalifiable. La finance participative mettant en œuvre une large palette d’opérations financières, elle est particulièrement exposée à ce risque de requalification. Le régulateur est tout à fait conscient de l’inadaptation des catégories réglementaires existantes à la finance participative mais il n’est pas en capacité de créer un statut à part adapté en combinant exemptions et interprétation, à l’inverse de ce que peut faire le régulateur anglais qui relève d’un droit plus « inductif » et « expérimental », et il ne peut qu’en appeler au législateur afin de le doter d’un cadre « positif ».
En conséquence, seul un texte législatif peut apporter la légitimité, la sécurité juridique et les conditions d’opération adaptées permettant le développement du financement participatif.
L’analyse du régulateur l’a d’ailleurs conduit assez loin dans son « extension du domaine du statut » à tel point qu’il en a touché des acteurs qui se retrouvent en situation de risque juridique
- Qu’une opération de collecte sous une forme dématérialisée soit considérée comme une opération de paiement impacte ainsi toutes les associations et fondations, les syndics mais aussi toutes les opérations de financement intermédiées, sans même parler des listes de mariage. Notons l’exception que constitue la collecte par chèque qui permet de contourner l’acquisition du statut mais est elle-même soumises à des règles strictes (mais souvent non contrôlables, ce qui est en fait toute l’utilité).
- Que toute intermédiation dans une levée de fonds constitue une opération de placement requérant un statut et ce sont les intermédiaires en levées de fonds, les Business Angels, les VC et même les notaires qui devraient logiquement acquérir un statut de Prestataire de Service d’Investissement ou de mandataire lié.
Le troisième point, c’est la complexité d’appréhender dans la réglementation la caractérisation de l’ensemble des opérations nécessaires pour effectuer des financements participatifs :
- L’information sur les projets effectuée sur internet tombe sous le coup du démarchage pour les titres
- L’entrée en relation avec les utilisateurs est soumises à des contraintes extensive d’identification, de caractérisation des compétences et de la surface financière, de contrôle anti-blanchiment.
- La capacité de réaliser les opérations effectuées de manière déléguée soit en compte de tiers soit en compte propre pour monter les financements sont sujettes à diverses interprétations incertaines et cela notamment pour organiser dans la durée le regroupement des financeurs et les éventuels flux financiers de retour
La conclusion de l’ensemble de ces point est que seul un texte législatif peut apporter la légitimité, la sécurité juridique et les conditions d’opération adaptées permettant le développement du financement participatif, y compris pour les modèles opérant hors du champ du Code Monétaire et Financier.