FriendsClear c’est fini !

Nous avons cessé définitivement toute nouvelle activité de financement participatif pour les projets professionnels que FriendsClear opérait en partenariat avec le Crédit Agricole.

L’Autorité de Contrôle Prudentiel de la Banque de France nous avait déjà  formulé des remarques sur notre modèle de financement participatif qui nous avait conduites à suspendre nos opérations à fin avril 2011. Nous avions alors modifié notre modèle pour satisfaire les remarques formulées et avions obtenu l’agrément de l’ACP en décembre 2011 (cela avait pris 8 mois néanmoins). Notre reprise avait été très progressive, la suspension de l’ACP ayant rendu les services juridiques de notre partenaire bancaire beaucoup plus méticuleux (il nous a fallu par exemple environ 5 mois obtenir la nouvelle convention de compte client).

Nous avions été très étonnés de cette intervention de l’ACP car nous satisfaisions toutes les règles statutaires de la réglementation (telle que décrite par le guide du crowdfunding ACP/AMF), toutes nos opérations de collecte et de financement étant réalisées par une banque ayant statut d’établissement de crédit de plein exercice,  FriendsClear,ayant, elle même, le statut d’Intermédiaire en Opérations de Banque et de Services de Paiement (IOBSP).

Les remarques qui nous ont été formulées et les modifications apportées avaient été les suivantes

Modèle initial de financement participatif

Remarques ACP

Modèle modifié de financement participatif

Financement automatique des projets ayant collecté 100% du montant demandé La banque doit conserver la capacité discrétionnaire de refuser un financement sans explication Financements effectués sous réserve de la capacité discrétionnaire de la banque de refuser un financement sans explication
Risque de défaut supporté en totalité par les prêteurs en contrepartie de leur capacité de choisir les projets Le risque de défaut ne doit pas être supporté en totalité par les prêteurs –   Mise en place d’une garantie en capital accordée par la banque sur le montant du financement accordé-   Risque continuant d’être supporté par les prêteur à hauteur des intérêts (4,5% soit jusqu’à un taux de défaut de 4,5%)
Sélection directe des projets  par les prêteurs Les prêteurs ne doivent pas sélectionner directement les projets. Ils doivent être « assistés ».Cela me parait être une position un peu philosophique du client dépourvu de toute capacité d’appréciation de ses actes qui doit être « protégé » de lui-même par le dispositif qui le « force » à réduire son risque  Le prêteur finance d’une part un montant d’un « panier de projet » et d’autre part  sélectionne un projet qui entre dans le « panier de projet »Les clients ne voient aucune différence mais cela les force à répartir leur risque (pour certains au dépend des choix qu’ils font) mais cela satisfait l’ACP

A l’usage nous nous sommes aperçus que le nouveau dispositif ne fonctionnait pas et entravait tout développement à grande échelle.

La garantie en capital qui nous avait paru une bonne idée notamment en termes de réassurance pour les clients s’est révélée avoir des conséquences néfastes au niveau opérationnel. Il n’existe d’ailleurs dans le monde aucun  modèle à ma connaissance autre que non garanti. Avec la garantie, le porteur de projet subit en effet la « double peine. » Il doit convaincre d’un coté les internautes et de l’autre satisfaire le processus de sélections bancaires traditionnelles pour obtenir la garantie en capital. Et ces deux processus sont tout sauf convergents. Les critères de sélection, les délais, les objectifs sont différents.

De plus du fait de la suspension ACP,  notre partenaire bancaire voulait imposer pour la reprise des règles de prudence fortement contraignantes  comme par exemple se restreindre aux seules entreprises individuelles  alors que 80 % des porteurs de projets étaient en SARL. Les contraintes en termes de documents justificatifs s’étaient aussi alourdies et cela ne contribuait pas à la fluidification des processus.

Dans ce contexte, faire le constat de la situation a été rapide mais en tirer les conclusions définitives beaucoup plus long. C’est aussi le lot d’un partenariat et d’un actionnariat aux différentes perspectives.

Par ailleurs, comme nous utilisions des produits bancaires non standards et que le changement de modèle est intervenu au cours de la refonte du système d’information de la banque, les clients historiques de l’ancien modèle ont dû subir non seulement le changement de modèle mais aussi la migration de leurs comptes bancaires existants vers d’autres comptes bancaires. Ce qui n’était pas non plus pour simplifier les choses.

Au final, j’en tire les conclusions suivantes :

  • Je crois toujours au potentiel du financement participatif y compris dans ses composantes réglementée. L’évolution de la réglementation est annoncée pour septembre 2013 mais nous ne savons pas ce qu’il y aura réellement dedans, ni combien de temps cela prendra pour être transcris dans les faits et nous n’avons plus le temps d’attendre. De nombreux nouveaux acteurs se lancent néanmoins et cela est un signal très positif pour ce secteur.
  • Le financement participatif ce n’est pas du financement, ce sont des projets. Et les projets sont un « produit » très attractifs tant pour les porteurs de projet que pour les financeurs. Il y a une dynamique intrinsèque du financement participatif qui ne demande qu’à être enclenché. C’est mon plus grand regret que n’ayons pas passé plus de temps dans le développement de la  relation client,  le marketing et les partenariats plutôt que dans les entrailles des processus et de la réglementation.
  • Je crois toujours à l’intérêt du prêt pour réaliser du financement participatif. C’est le moyen de financement le plus « packagé », le plus facile à comprendre par le porteur de projet et le financeur et le plus universel (notamment par rapport aux titres et capital).
  • Je crois toujours à l’intérêt du partenariat avec une banque car celle-ci possède des compétences et des capacités qu’elle maîtrise et opère très bien et qui ne présente que peu de valeur et un coût important à être reconstruit (contrôles, octroi et gestion des prêts, reporting institutionnel, anti-blanchiment,…). Sans compter la pérennité des opérations que cela apporte. Indépendamment de l’arrêt de nos opérations, les financeurs  conservent leurs comptes avec l’argent déposé et les prêts des porteurs de projet continuent comme précédemment.
  • Ce auquel je ne crois plus c’est l’idée initiale de FriendsClear de faire la partie « front-office» et de s’appuyer sur les produits et les processus de la « banque à papa » en « back-office ». La banque traditionnelle, dans ses produits et processus, n’est pas adaptée à internet, aux communautés ouvertes, aux développements rapides et itératifs de nouveaux services. Et elle a le plus grand mal à réaliser un pivot. Un partenariat bancaire ne peut s’envisager qu’à travers une stricte répartition des tâches en limitant au maximum les adhérences (par exemple en terme de responsabilité de la relation client ou via des mécanismes de type titrisation formalisant les échanges à l’exemple de Lending Club qui s’appuie sur deux partenaires bancaires pour la tenue des comptes clients et l’octroi et la gestion des prêts).
  • Une autre difficulté dans un partenariat bancaire, c’est l’absence de neutralité dans la relation au régulateur. Il est déjà difficile de résister au régulateur pour un acteur indépendant  même lorsque le régulateur détourne manifestement l’esprit de la loi et ne sera pas suivi dans ses interprétations par l’institution judiciaire mais cela est impossible pour une banque qui négocie en continu de multiples dossiers avec le régulateur.  Une activité réellement innovante au sein d’une banque ne peut se développer que si elle se dote de ressources  de conformité en propre apte à investir dans la compréhension de son contexte spécifique

Je remercie tous ceux qui ont été à l’initiative de cette aventure et tous ceux qui ont pris le risque et mis l’énergie de s’y impliquer.

10 thoughts on “FriendsClear c’est fini !

  1. Bonjour Christophe,

    La fermeture de la plateforme n’impacte pas les projets existants.
    Les prêts aux porteurs de projets continuent sans changement.
    Les comptes bancaires personnels des financeurs ouverts auprès de notre partenaire bancaire continuent d’être actifs. Je pense que le Crédit Agricole va proposer une clôture de ces comptes similaire à celle que nous avions été obligé de réaliser lorsque nous étions passé du précédent dispositif au dispositif actuel.

    Cordialement

    • Bonjour et merci pour votre réponse rapide!

      Il est vraiment dommage que vous n’ayez pu poursuivre sur cette voie qui me semblait innovante et prometteuse!

      Je vous souhaite beaucoup de succès pour la suite!

      Cordialement,
      Christophe.

      PS: Avez-vous un numéro ou une adresse mail à laquelle je peux contacter le CA en direct ou du moins les interlocuteurs privilégiés sur ce projet?

    • Bonjour,

      Je suis investisseur sur le site FriendsClear et vient également d’apprendre la nouvelle en faisant des recherches sur le net. J’ai aussitôt demandé la clôture de mon compte investisseur au Crédit Agricole.

      Je vous cite : « Les prêts aux porteurs de projets continuent sans changement. »

      Engagée dans le financement d’un panier de projets et n’ayant reçu aucune nouvelle de l’avancement de ces projets depuis 10 mois, je me désengage aujourd’hui.

      Bonne continuation et bonne chance pour la suite.

      Elodie

  2. Bonjour,

    Je viens d’apprendre malheureusement la disparition de Friendsclear. C’est une grande déception.

    Qu’advient-il des paniers de projets souscrits? Les fonds sont-ils toujours utilisés?

    Merci pour vos réponses.

    Cordialement,

  3. Salut Nicolas et au passage Jean Christophe,
    je ne voudrais pas être maladroit et nous n’avons pas été les plus proches dans le secteur, mais je ne vous cacherais pas que cela m’attriste. Ce n’est jamais une bonne news que de voir un acteur de notre écosystème disparaitre, et je sais l’énergie colossale que vous avez, depuis le début, consacrée à votre projet.. C’était j’imagine pour vous comme pour nous tous forcément un peu l’investissement de votre vie. Au demeurant j’ai bien relu ton article, Nicolas, et je n’avais pas imaginé à quel point vous étiez contraints, ce qui rend votre persévérance d’autant plus méritoire, respect pour ça aussi….Bon courage pour la suite.
    Arnaud

  4. Déception énorme de voir ainsi s’arrêter cette belle histoire.
    Je suis convaincu que ce mode de financement sera un jour le premier de la finance participative; Sans doute pas en France… Navré pour l’équipe de Friendsclear, qui a dépensé beaucoup d’énergie auprès du régulateur.
    Je crois comme toi Guillaume que le marché français n’est pas le plus aisé pour le crowdfunding… Bon vent pour la suite!

  5. Pingback: info | Pearltrees

  6. Pour avoir accompagné Friendsclear depuis le début, je peux dire que mon opinion sur l’avenir des plateformes soumises à la régulation française (et lesquelles ne le sont pas à écouter le régulateur) est bien ancrée : le système actuel n’est pas fait pour la finance participative. Celle-ci traverse trop de silos et remet en cause énormément de processus en redonnant le pouvoir aux financeurs.

    Si rien ne change dans le cadre légal actuel, le résultat sera sans appel : le régulateur qui a mis du temps à se mettre en marche finira méthodiquement par éradiquer toutes les initiatives, le temps du régulateur, contrairement à celui des startups, ne lui ait pas compté.

    Aucune modification à la marge ne changera cela : aucun petit amendement ne libérera miraculeusement un tsunami de financements qui auraient été temporairement retenus, les points de blocages sont trop nombreux (monopole du crédit, appel publique, KYC, démarchage, placement, conservation,…). Vouloir avancer verrou par verrou relèverait du mythe de Sisyphe.

    Il faut nécessairement définir dans leur ensemble les règles et conditions qui permettront réellement à des financeurs de pouvoir librement et conjointement accorder les moyens à des projets qui ne rentrent pas/plus dans un système qui se rétracte.

    Le gouvernement a promis des mesures. Utilisons cette opportunité qui nous ait offerte, mais sans accepter de cautionner des propositions cosmétiques qui n’auraient que des effets d’annonces. Il ne faut pas transiger sur un projet ambitieux, car des arrangements concoctés via les méandres de commissions n’ont aucune chance de fournir le nouveau cadre qui est absolument nécessaire à la France pour voir exister un jour un réel écosystème national.

    Frederic

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