Projet de Réglementation Financement Participatif – Analyse et propositions

 

Comme précisé dans mon précédent billet, un projet de réglementation du Financement Participatif est en cours d’élaboration sous l’égide du gouvernement pour présentation en septembre. Cette tâche a été confiée au régulateur AMF/ACP. Comme le dit Frédéric Baud de P2PVenture et FundMyMedicalResearch, c’est un peu comme si on avait confié à la NSA (National Security Agency US) la tache d’écrire une loi sur la protection des données personnelles.

Un travail collaboratif d’analyse et de proposition est mené sur le wiki du Livre Blanc Finance Participative 2013.

Vous trouverez ci-dessous une synthèse de l’analyse et des propositions de réglementation du financement participatif.

 

Que veut rendre possible le financement participatif (crowdfunding) ?

Le financement participatif (crowdfunding) veut permettre :

  • A des projets et des entreprises de se présenter de manière ouverte pour obtenir des financements directs notamment lorsqu’ils ne sont pas dans le champ des financements traditionnels
  • A des particuliers de financer directement des projets ou des entreprises selon leurs propres critères de choix.

 

Quels sont les situations concernées ?

Les types de projets à financer :

  • Des micro-financements (0-10K€) pour des micros-entreprises
  • Des financements de petits montants (10-60/100K€) pour :
    • Des projets en phase amont non qualifiables à des financements traditionnels (toutes entreprises mais notamment entreprises innovantes)
    • Des projets à l’acceptation restreinte par les canaux traditionnels de financement
      • Profil non standard (jeune, sans expérience, reconversion professionnelle,…)
      • Projet de petite taille (commerce ambulant, service à la personne, internet)
      • Projet difficilement évaluable (innovation, secteur non connu,….)
      • Projet non accepté par le scoring (secteur exclu, ratio inadéquat,…)
      • Pas d’historique de relation bancaire ou business
    • Des projets innovants ou risqué (startup, retournement, reprise…)
    • Des projets dans des logique financière ou d’évaluation spécifique : social business, culturel, artistique, développement durable, solidaire,…
  • Des financements de montants moyens :
    • « Funding gap » des startups innovantes (100K€ à 1-2,5 M€)
    • Rétrécissement des financements de PME traditionnelles (50K€-1M€)

Les types de financement accordés par les financeurs sont illustrés par l’échantillon d’exemples suivant :

  Kickstarter (US) Babyloan FriendsClear Funding Circle (UK) Crédit Agricole Smartangels
Type de financement Contrepartie Prêt solidaire Prêt à intérêt Prêt à intérêt Prêt à intérêt Capital
Exemple de projet 3Doodler

stylo 3D

2,3M$ (30K$ demandé)

Tilagavady & Djeasridar

Restaurant indien

5K€

Matériel Forestier

Bucheron

8K€

Score a Hole in One

Evenementiel

50K£

Eolienne Loué

Parc éolien

1,2M€ (sur un total de 17M€)

Sentinelo

Application mobile

500K€

Nombre de financeurs

26.457

82

26

24

250

33

Montant moyen par financeur

88 $

68 €

307 €

2.084 £

4.800 €

15.000 €

 

Quels sont les freins actuels au financement participatif ?

La réglementation financière actuelle est fondée sur des principes divergents du financement participatif :

  • Des cadres différenciés (statuts, seuils, règles,…) pour chaque  instrument de financement (don, contrepartie, prêt sans intérêt, prêt avec intérêt, capital et titres) tandis que le financement participatif repose sur la sélection et le suivi du projet à financer et non sur l’instrument qui peut être multiple voire hybride.
  • Une protection du financeur qui va jusqu’à le déposséder de toute capacité d’initiative dans l’évaluation et le choix des projets à financer.

Cela induit des contraintes incompatibles avec un développement viable :

  • La présentation des projets et de leurs modes de financement sont soumis à des contraintes de communication notamment sur internet (démarchage de titres, démarchage bancaire,…)
  • Dès le 1er euro collecté, les financeurs doivent faire l’objet d’une identification forte, d’un contrôle de l’origine des fonds et d’une qualification de leur compétence et de leur capacité financière à conduire des opérations de financement risquées
  • Le cadre juridique des opérations conduites par les plateformes est sujet à une insécurité juridique et à un risque de requalification par le régulateur et  notamment :
    • Les opérations de collecte, de conservation et d’affectation des fonds ainsi que de gestion des éventuels retours de fonds pour les financeurs.
    • La délégation de mandat de la part des financeurs à la plateforme pour l’organisation des financements notamment la structuration juridique et les opérations de gestion tout au long de la vie du projet.

A ce jour, seules les plateformes non soumises à la réglementation financière (don, contrepartie, prêt solidaire et non rémunéré) ont pu se développer et montrer le potentiel du financement participatif.

Les plateformes dans le champ de la réglementation et notamment celles de financement en capital de startup ont aussi montré un potentiel de développement mais les contraintes les ont poussé, pour des raisons de viabilité, à privilégier des financeurs avec des montants moyens de financement élevés (plusieurs milliers d’euro à plusieurs dizaine de milliers d’euros) plus proches du champ de la finance traditionnelle que de la démocratisation de masse du financement avec des tickets moins élevés et un nombre de financeurs plus importants (mais qui ne peuvent être viables qu’avec des obligations allégées réalisables sur internet).

L’objectif de la finance participative doit être de démocratiser la possibilité de choisir et financer des projets au plus grands nombre de personnes avec des montants unitaires réduits, soit du fait de la nature des projets (solidarité, contrepartie, risque), soit dans une logique d’essai et d’adoption (« try & buy ») afin de favoriser l’orientation volontariste des financeurs vers des projets hors des circuits traditionnels de financement.

 

Quelles sont les évolutions demandées ?

Les évolutions suivantes sont demandées :

–          La création d’un « Prestataire de Service de Financement Participatif » (Crowdfunding Service Provider) disposant pour des opérations de financement participatif des capacités de :

  • Présentation des projets et de leurs modes de financement sur internet (incluant les titres hors opérations de démarchage actives telles que définies par ailleurs dans la réglementation)
  • Réalisation des opérations de collecte, de conservation et d’affectation des fonds ainsi que de gestion des éventuels retours de fonds pour les financeurs.
  • Délégation de mandat de la part des financeurs à la plateforme pour l’organisation des financements notamment la structuration juridique et les opérations de gestion tout au long de la vie du projet.

–          La définition d’une opération de financement participatif qui se définit par :

  • Accès libre aux projets donné aux financeurs
  • Choix direct du projet par le financeur
  • Transparence et traçabilité de l’affectation des fonds tout au long de la vie du projet.

–          La définition d’un champ spécifique aux opérations de financement participatif dans lequel elles bénéficieraient de règles adaptées. Ce champ pourrait être, par exemple, défini par les seuils suivants :

  • De protection du financeur et notamment de son risque d’exposition patrimoniale en fixant réglementairement un montant maximum
    • OPTION 1 : par financeur cumulé sur une plateforme par an (2.500€ par exemple – correspondant au seuil cumulé par client pour  les opérations de paiement)
    • OPTION 2 : par financeur et par projet (par exemple 100€ ou 900€)
    • De limitation des risques de fraude, d’antiblanchiment, de détournement et de défaut de la plateforme avec un  montant maximum par offre d’un projet sur une plateforme (par exemple 50 ou 100K€) rendant nécessaire une réitération complexe des opérations de financement participatif pour atteindre des montants importants.
    • De limitation des risques de fraude avec un pourcentage maximum par investisseur par projet (par exemple 25%) rendant nécessaires de convaincre de multiples financeurs pour réussir un financement et augmentant les risques de démasquer la fraude.

–          La définition des règles adaptées à l’intérieur de ce champ délimité des opérations de financement participatif pour les opérations réalisées par un Prestataire de Service de Financement Participatif dans le cadre des capacités offertes par la réglementation

  • Identification réduite des financeurs
  • Exemptions du contrôle de l’origine des fonds pour les paiements électroniques,
  • Exemption de la qualification des compétences et des capacités financières des financeurs.

Au-delà de ces seuils (par exemple pour un montant cumulé par financeur et par an ou par projet de 10.000€), les règles d’exemption ne s’appliquent plus et les règles de droit commun s’appliquent (identification forte des financeurs, contrôle de l’origine des fonds, qualification des compétences et des capacités financières des financeurs) ainsi que les règles spécifiques à chacun des instruments de financement (prospectus, placement, démarchage par exemple pour le financement en capital).

Par contre, les Prestataires de Service de Financement Participatif conservent  les capacités (collecte, délégation,…)  dont ils sont dotés indépendamment des seuils des opérations, charge à eux d’acquérir les statuts complémentaires nécessaires pour chaque instruments de financement (comme par exemple le statut de Prestataire de Service d’Investissement pour le placement de titres ou de Conseil en Investissement Financier pour le conseil en titres).

Cela est notamment applicable :

–          A un service de pré-achat de collecter plusieurs millions à l’image du projet 3Doodler sur Kickstarter présenté au début ( en bénéficiant de l’exemption hors réglementation financière) (il s’agit d’un exemple US transposé)

–          A un service de capital de financer des startups à plusieurs centaines de milliers voire millions d’euros  avec des financeurs avec des tickets de dizaines de milliers d’euros (en réalisant les diligences normales de contrôle).

 

Quels sont les risques à prendre en compte ?

–          Risque d’exposition patrimoniale du financeur

    • Le financeur réalise un ou plusieurs financements sur un ou plusieurs projets dont les montants cumulés engagent significativement son patrimoine du fait du risque de perte totale inhérente à ce type de financement

–          Risque de fraude du projet

    • Présentation et recueil de financement sur des projets inventés sans réalisation à la suite avec accaparations des montants versés

–          Risque de défaut de la plateforme

    • Défaut de la plateforme impactant les opérations de financement en cours ainsi que le suivi des comptes utilisateurs et de supports de financement gérés

–          Risque de blanchiment du projet

    • Présentation de projets à la seule fin de collecter et d’agréger des financements de multiples sources frauduleuses pour les blanchir sur les projets.

–          Risque de détournement de la plateforme

    • Utilisation de la plateforme pour des financements traditionnels normalement assurés par les canaux de financement traditionnels en profitant de contraintes plus favorables accordées au financement participatif

 

Comment sont couverts les risques ?

Risque

Couverture du risque

Risque d’exposition patrimoniale du financeur  –          Choix direct du projet par le financeur (action volontaire exercée par le financeur)
–          Montant maximum par financeur cumulé sur une plateforme par an (2.500€)
Risque de fraude du projet  –          Accès libre aux projets donné aux financeurs-          Transparence et traçabilité de l’affectation des fonds tout au long de la vie du projet.

–          Montant maximum par offre d’un projet sur une plateforme

 

Risque de défaut de la plateforme  –          Montant maximum par offre d’un projet sur une plateforme-          Ségrégation des comptes des financeurs

 

Risque de blanchiment du projet  –          Accès libre aux projets donné aux financeurs-          Transparence et traçabilité de l’affectation des fonds tout au long de la vie du projet.

–          Montant maximum par financeur cumulé sur une plateforme par an (2.500€)

–          Montant maximum par offre d’un projet sur une plateforme

 

Risque de détournement de la plateforme  –          Accès libre aux projets donné aux financeurs-          Transparence et traçabilité de l’affectation des fonds tout au long de la vie du projet.

–          Montant maximum par financeur cumulé sur une plateforme par an (2.500€)

–          Montant maximum par offre d’un projet sur une plateforme

–          Financements réalisés non transférable de la plateforme

 

 

Quel cadre juridique pour le regroupement des financeurs ?

Afin de faciliter le regroupement des financeurs  et le développement à la fois des modèles en compte de tiers et en compte propre (qui sont parfois nécessaires du fait de la longueur des flux de financement ou des logiques de refinancement ou d’abondement), nous proposons de spécialiser une structure juridique existante de regroupement et de la dédier au financement participatif en la dotant d’attribut adapté.

Le « fonds commun participatif » (FCPart) est un fonds pouvant accueillir des titres comme des contrats de prêts ou des dons à contrepartie.

 

Quelle compatibilité d’une telle réglementation avec le droit européen ?

En principe, la réglementation financière nationale n’est pas indépendante du droit européen car il s’agit d’un domaine d’attribution partagée dans lequel un mouvement d’homogénéisation est en cours et où doit s’appliquer la portabilité des acteurs et produits (« passeport » ou « Libre Prestation de Service »). Cette constatation s’applique notamment au niveau de la création de « statuts » nationaux qui ne sont pas encouragés.

En pratique, le paysage est plus complexe :

–          La simple transposition des directives européenne en droits nationaux pose des problèmes de divergences de transposition qui ont conduit la commission à réitérer les directives sur les paiements et la monnaie électronique notamment

–          Des statuts historiques subsistent sans qu’aucune renormalisation soit réalisée (par exemple le statut – totalement spécifique et éteint aujourd’hui – dont bénéficient Moneo et w-HA en France)

–          Une analyse comparée des différents pays montre une très grande variété de statuts existants indépendamment des   européennes (cf Regulation of Crowdfunding in Germany, the UK, Spain and Italy and the Impact of the European Single Market, ECN, June 2013 :  20130610_Regulation_of_Crowdfunding_ECN_OC).

Par ailleurs, à l’initiative de la Commission des travaux ont démarré pour définir un cadre juridique européen pour le crowdfunding (un « Crowdfunding Service Provider »). Le calendrier de cette démarche n’est néanmoins pas compatible avec une transcription rapide dans les faits.

Le champ d’application du financement participatif, tel que défini précédemment, peut néanmoins faire l’objet à plus courte échéance d’une réglementation car :

–          Il s’inscrit dans le champ des exemptions précédemment décrites dans les différentes directives (par exemple moins de 5 millions d’euros de financement pour la directive prospectus)

–          Il peut être transcris dans une forme compatible avec le droit européen (à l’image des différents statuts ou labels spécifiques au droit français comme les CIF par exemple)

–          Il préfigure le futur statut de « Crowdfunding Service Provider » qui sera mis en place au rythme de la réglementation européenne et sur lequel il suffira d’aligner le texte déjà produit.