Le futur de la banque

Il m’est souvent arrivé de discuter du futur de la banque avec de nombreuses personnes (avec une variante : comment la banque peut-elle innover ?). Je ne citerai que Sylvain Fagnent d’Octo etRaffa Elhafi d’Ananké Partners (aussi auteur d’un article dans la Expansion Management Review) qui ont partagé leurs visions respectives dans leurs blogs. Et j’ai voulu aussi me livrer à l’exercice.

Sur le domaine, je vous recommande aussi les blogs de SIA, InsidenTekFin et C’est pas mon idée.

Qu’est-ce qui caractérise la banque de détail ? :

  • C’est une activité de distribution comme n’importe quel autre distributeur mais portant sur des produits financiers
  • Derrière, il y a de grosses usines à processus complexes pour fabriquer les « produits »
  • C’est un secteur très règlementé à structure oligopolistique, ce qui a un impact déterminant sur la dynamique concurrentielle du marché.

Commençons par la distribution. Même si on a l’impression que les agences bancaires sont restées les mêmes, celles-ci ont significativement évolué. Dans un marché de nécessité (il n’est pas possible de se passer d’une banque) et de faible différenciation sur les produits (un compte bancaire reste un compte bancaire), la dynamique concurrentielle a d’abord porté sur le passage d’une logique administrative (les clients sont obligés de venir) à une logique de maximisation de la proximité et de l’exposition aux clients. Des statistiques ont montré que la pratique religieuse était directement corrélée à la proximité géographique d’une église. C’est la même chose pour les banques qui ont suivi la même dynamique concurrentielle que les opérateurs telecom lors de l’ouverture du marché :

  • Nouvelles implantations et réimplantation des agences pour suivre les évolutions socio-démographiques (par exemple en installant des agences dans les centres commerciaux)
  • Modifications des plages d’ouverture pour coller aux usages des clients (rappelez-vous les agences ouvertes le samedi ou jusqu’à 20H, c’était une révolution en son temps)
  • Expérimentation ou développement de nouveaux formats d’agence plus conviviaux et plus attirants pour les clients (suppression des « guichets » au profit d’espaces ouverts, aménagement « d’espaces conseil », ouverture d’agence « flagship » ou expérimentation de nouveaux concepts d’agence (Foncier HomeBNP Paribas 2 OpéraCrédit Agricole Alpha Projet et Agence de Chartres,…).

Les agences se sont aussi débarrassées des activités transactionnelles (demande de solde, remise de chèque, retrait d’argent,…) au profit d’espaces libre-service au sein des agences et à distance, notamment sur internet. Cette approche commence aussi à être développé dans l’information ou la pré-qualification commerciale avec les dispositifs d’interactivité et de « tactilité ».

Du coté des usines, la transformation a aussi été très profonde :

  • Unification, refonte et extension des systèmes d’information (par exemple l’actuel projet « Nice » d’unification des SI du Crédit Agricole)
  • Industrialisation des activités (dématérialisation des titres, traitement des images-chèques,…)
  • Consolidation des activités pour atteindre des tailles critiques (conservation de titres,…).

Concernant la règlementation, on dit souvent que l’innovation bancaire vient de la règlementation. Le suivi et la mise en conformité avec la règlementation représentent, en effet, une part significative des efforts d’évolution des banques et le secteur en est très appétant (loi Lagarde sur le crédit, récapitulatif des frais bancaires, réforme de l’assurance-vie à venir,…).

Les évolutions les plus structurantes portent sur :

  • La connaissance client (« Know Your Customer »). Pas du tout dans la perspective commerciale que vous imaginez mais pour le contrôle des flux financiers et l’antiblanchiment. Depuis le 11 septembre 2001, les gouvernements occidentaux ont décidé qu’il valait mieux se battre contre le terrorisme et la fraude au niveau du portefeuille plutôt que de mener des guerres sans fin. Al Capone a bien été mis en prison pour fraude fiscale !
  • Les dispositifs prudentiels et de contrôle des risques hérités de la crise financière mais qui impactent la capacité des banques à distribuer des prêts.
  • MIFID (Markets in Financial Instruments Directive, dite aussi MIF : Marché des Instruments Financiers). Contrairement à ce que le nom le laisserait penser, il ne s’agit pas que de l’organisation des marchés, des MTF (Multilateral Trading Facilities) et des dark pools qui taillent des croupières aux bourses traditionnelles ou du trading à haute fréquence. Il s’agit aussi de la qualification des investisseurs individuels (ceux qui achètent des produits de placement dans les banques) et les règles d’éligibilité et d’information sur ces produits.
  • SEPA (Single European Payment Area) qui unifie les services et les règles de paiement sur la zone européenne. SEPA est souvent vu comme un sujet d’adaptation technique et juridique par les banques alors qu’il introduit des possibilités étendues de développer des nouveaux services à partir des comptes bancaires. Il n’est pas anodin que le premier acteur a obtenir le nouveau statut d’opérateur de paiement SEPA (Payment Service Provider) en France ait étéAqoba, un fournisseur de solution affinitaire.

La règlementation regorge d’autres sujets intéressants. Par exemple, l’introduction du fichier positif qui porte en potentiel la transparence et la comparabilité des conditions de crédit, c’est-à-dire de la concurrence et, contrairement à ce que l’on laisse penser, pas seulement sur la prévention du surendettement.

La règlementation est-elle à l’origine d’innovations produit majeures ?

Difficile de trouver des illustrations à cette question. Il faut dire que comme la règlementation s’applique uniformément à toutes les banques, il est difficile d’en faire un levier de différenciation.

Si l’on regarde sur les dernières années ce sur quoi les banques ont le plus communiqué en terme d’innovation produit, c’est…le livret A ! (lors de sa généralisation à toutes les banques – une innovation règlementaire). SEPA porte aussi en germe des éléments de désintermédiation bancaire (voir ci-après).

D’ailleurs, y a-t-il des innovations majeures (de rupture) dans la banque ?

Si vous posez cette question à un banquier, il vous parlera probablement de la Carte Bancaire, des DAB (Distributeurs Automatiques de Billets) ou de la souscription des crédits sur le lieu de vente (débutée avec le minitel) – exemples réels et effectivement de rupture mais datant un peu -.

Y a-t-il eu alors d’autres innovations radicales sur le marché ?

La banque sur internet n’a pas été en France une innovation radicale car les « pur players » qui s’y sont lancés à la fin des années 90 (« Ze Bank » et « Banque Directe ») ont échoué. Ce qui n’a pas été le cas dans tous les pays, Egg (lancé en 1998) a ainsi conquis 2 millions de clients en Grande Bretagne (Ze Bank avait quand même conquis 92.000 clients en 9 mois d’activité en 2001). Et aujourd’hui toutes les banques disposent d’une présence complète sur internet.

Les courtiers en ligne tant en bourse (Selftrade, Boursorama, Fortuneo) que immobilier (meilleurtaux, Empruntis) lancés à la même époque ont eu un impact plus significatif sur le marché car ils ont conquis de 10% (bourse)(source : ACSEL 2010) à 20% du marché (immobilier). Et cela se poursuit et s’étend avec le développement du courtage d’assurance (LeLynx.fr,…). Par comparaison, le taux de courtage aux USA et en Grande-Bretagne pour les crédits immobiliers est de 68% et 64% (Rapport_annuel_2007 MeilleurTaux).

Les courtiers en ligne ont progressivement étendu leurs offres à l’ensemble des produits bancaires notamment d’épargne et ont donné naissance à de nouveaux acteurs « supermarchés de la finance ».

Ils ont été au cœur d’un changement radical dans la banque en France : la multi-bancarisation.

Traditionnellement, les français sont très mono-banque. Il est perçu comme difficile de changer de banque avec des bénéfices faibles, ou à tout le moins aléatoires. Il y a toujours un attrait du « low cost » mais il ne constitue pas un argument suffisant au-delà du noyau de population dont c’est le critère clé (l’argument est, par contre, très utilisé comme produit d’appel).

Plus fondamentalement, cette évolution vers la multibancarisation est à mettre en rapport avec les limites de la distribution bancaire actuelle :

  • L’inadaptation du service commercial aux attentes clients résultant d’un marketing trop standardisé proposant les mêmes produits à tout le monde et reposant sur une mécanique automatisée de campagnes marketing. A l’exemple du télévendeur qui vous propose tous les ans le même produit que vous avez déjà refusé les années précédentes ou complètement inadapté par rapport à votre situation. Il faudrait que le marketing bancaire se rende compte que l’achat d’un produit financier s’inscrit dans une « stratégie client globale » (qui n’est pas un « chemin d’équipement ») et que le vendre avec le même marketing que celui d’un achat d’impulsion ne peut être que préjudiciable à terme (même si cela marche encore à court terme).
  • L’absence de profondeur de choix dans la gamme de produits résultant d’un modèle intégré qui restreint la commercialisation aux seuls produits fabriqués dans ses propres usines.

Dans ce contexte, comme le dit Sylvain Fagnent « La bataille est déjà perdue » sur les CSP+ (Catégories Socio Professionnelles Supérieures) . Ceux-ci en savent souvent plus que les conseillers en agence et préfèrent s’informer, comparer et se décider sur internet. Ils apprécient d’avoir accès à une large palette de produits et pas seulement les offres « maison ». Ce sont eux qui ont alimenté la croissance des nouveaux acteurs internet (Boursorama, Fortuneo, Monabanq, BforBank, ING Direct,…et l’ancêtre Cortal) – tous rachetés ou rattachés à des banques traditionnelles soit dit en passant- et qui ont fait progresser la multibancarisation en France :  30% des clients ont plusieurs comptes courants (dans plusieurs banques) et cela passe à 50% quand on considère tous les produits financiers.

Face à cette situation, les agences cherchent à réinventer leur approche commerciale en développant la dimension de « conseil », en s’organisant avec des « spécialistes » ou des « experts » en support et en se dotant d’outil d’échanges plus sophistiqués (interactifs et tactiles).

A l’image, de l’évolution déjà entamées depuis des années par d’autres industries (voir l’exemplaire transformation d’IBM), la banque doit passer d’un rôle de « fournisseur de produits » à rôle de « fournisseur de solutions ». Comme le dit Raffi Elhafi, elle doit « Mettre en scène ses produits et services », de « Remettre l’argent au centre des projets de vie des clients et non pas exclusivement au cœur des enjeux de croissance du PNB de la banque ».

Il est intéressant sur ce point de comparer le secteur de la banque avec celui des opérateurs de telecom comme nous l’avons vu avec le réseau de distribution.

Les opérateurs telecom ont en effet été confrontés au même chalenge de l’émergence des services. Ils ont été rétrogradés dans la chaine de valeur par les fournisseurs de contenu comme YouTube, de services comme Google ou d’application avec les Appstores au premier rand desquels celui d’Apple.

Les opérateurs ont néanmoins compris qu’ils ne pourraient pas répliquer la logique intégrée qu’ils avaient auparavant et que seuls des acteurs externes avaient la capacité à développer la multitude des nouveaux services et à leur donner la transversalité nécessaire pour les rentabiliser. Cela les a conduit à donner accès à leurs services de réseaux afin que ceux-ci soient intégrés dans des services à destination du client final développés et commercialisés par des acteurs tiers. J’avais fait une présentation en 2007 lors d’une conférence de la Revue Banque et Microsoft sur ce sujet (disponible ici sur slideshare).

Les banques sont dans la même situation :

  • L’innovation produit se trouve dans le développement des services liés à des produits financiers existants ou au développement de « category marketing » pour mieux adapter ces produits à des clientèles présentant des besoins spécifiques.
  • La multitude des services et des segments ne peut être adressées par les banques dont le marketing n’est pas configuré pour répondre à ce type de besoin.

Cela conduit à compléter le modèle intégré traditionnel par un modèle plus ouvert reposant sur des acteurs tiers pour des services plus segmentés. Perspective dans laquelle s’intégré par exemple le prêt entre particuliers tel que nous l’opérons avec FriendsClear.

Mais quels sont ces nouveaux services ? car, comme le faisait remarquer une de mes étudiantes de mon cours « Banque 2.0 » « on peut déjà tout faire avec les produits bancaires existants » ?

Une bonne illustration des besoins insatisfaits est apporté par les nouveaux opérateurs de paiement. Le compte bancaire complété de la carte bancaire (contrôlé par le GIE Carte Bancaire qui regroupe toutes les banques de la place)règne en maitre dans ce domaine.

Qu’est-ce que l’on ne peut pas faire avec un compte et une carte bancaire ?

  • Payer un particulier (impossible de faire une transaction CB d’un particulier à un autre). C’est ce qui a été à la naissance de Paypal.
  • Faire du cash-back (impossible à un marchand de faire une transaction CB à un particulier – hors cas d’annulation)
  • Décomposer une transaction (pour payer plusieurs fournisseurs ou un intermédiaire associés à un service)
  • Associer des services de fidélisation ou tout autres services à une carte de paiement (comme le fait Aqoba)
  • Disposer d’un choix élargit de moyen de paiement adapté à tous les scénarios d’usage (micro-paiement, paiement pré-payé (carte cadeau), monnaie virtuelle (jeux sur internet), paiement par mobile,…)

Il faut se rendre compte à quel point collecter de l’argent pour faire un cadeau (comme le faitLeetchi) ou collecter de l’argent auprès de tiers sur un compte épargne (comme le fait Smartypigaux USA) peuvent constituer des scénarios d’usage d’une très haute complexité de technique bancaire très mal couvert à l’heure actuelle.

  • Payer par prélèvement directement chez un marchand (débiteur) sans avoir à retourner à sa banque pour faire le virement (SEPA Direct Debit) (comme le fait Slimpay).

La banque et le paiement sur mobile ne constituent dans cette perspective, que des cas d’usage parmi d’autres et non pas un sujet central. Dans les pays en développement, privé d’infrastructure bancaire, la banque sur mobile a connu une croissance extrêmement importante. Mais le contexte est tout autre dans les pays développés qui n’ont pas les mêmes incitations à l’adoption. Il faudra probablement attendre que les banques « ré-electrifient » la carte bancaire avec le NFC sur mobile pour avoir une dynamique d’adoption globale incluant les opérateurs mobiles et les commerçants.

Pour se projeter plus loin dans ce modèle, il faut aller voir ce que fait Bank Simple aux USA. Bank Simple est une startup dont l’objectif est de réinventer la banque du coté client (du coté usine, elle s’appuie sur une banque existante). Bank Simple n’est pas encore opérationnelle mais devrait ouvrir sur une population pilote très bientôt (voir cet article).

Trois orientations fortes la caractérisent :

  • La relation client avec la volonté d’avoir des services simples, compréhensibles, très accessibles aux utilisateurs et le meilleur niveau de service (le Zappos de la banque) débarrassé des maux traditionnels des services bancaires
  • Une « data-driven company  » qui veut appliquer les capacités accrue de collecte et d’analyse en temps réel des données (comme le font Facebook et Twitter- un des fondateurs vient de l’équipe d’origine de Twitter) pour faire de la gestion d’argent prédictive (Predictive Money Management).
  • Une ouverture vers des services tiers via des API (Application Programming Interface) permettant de s’appuyer sur les données et services de Bank Simple.

Yann Ranchère de TekFin a listé, à titre illustratif, des exemples de service tiers :

  • Gestion de compte d’enfant (Kids account application) avec une interface adaptée aux enfants (à la Bobber) et une partie parentale (alerte, reprovisionnement, définition de limites sur les dépenses effectuées,…
  • Tableau de bord temps réel des soldes des comptes
  • Service de vérification de l’impact sur le solde de son compte affichée lorsque des transactions sont effectuées sur des sites marchands, voire des simulations de l’impact sur son budget
  • Gestion des structures de compte familiales : un seul compte avec des rôles spécifiques par transaction (un étant responsable de certaines transactions, l’autre n’étant qu’en information ou alerté que des mouvements exceptionnels).
  • Application automatique de gestion de compte à laquelle est déléguée certaines activités par Bank Simple (à la manière de la relation de délégation entre Facebook et ses applications).

Les banques ne me semblent pas avoir pris conscience de l’émergence des modèles « data-driven » temps réels, pleinement exploités par Facebook et Twitter. Et cela alors qu’elles sont assises sur un tas d’or en terme de données puisqu’il n’y a aucune ou très peu de données qui soient aussi précises et porteuses de valeur que les données bancaires.

La consultation des comptes bancaires constitue la 1er audience des banques sur internet. Le simple fait de rendre plus attractif, plus ludique et plus incitatif vers d’autres contenus, le compte bancaire se justifie d’un simple point de vue de marketing d’audience.

Mais au-delà, c’est aussi une opportunité :

  • D’apporter plus d’utilité à ses clients
  • Et surtout de refonder une approche commerciale plus efficace :
    • Axée et parlant directement au client
    • Basée sur une connaissance fine de son contexte propre en comparaison avec des profils similaires
    • Permettant de développer des mécanismes actifs de conseil et de recommandation.

Effectivement, cela implique des impacts importants :

  • Pour le réseau de distribution pour « réarticuler » le marketing par rapport aux clients
  • Pour les systèmes d’informations qui sont conçus à destination de la banque et non pas des clients. Rappelons que Facebook et Twitter ont, à la suite de Google, bâtis leurs systèmes d’information sur des technologies radicalement nouvelles leur permettant de gérer des volumes de données en temps réel et dans des conditions de coûts compétitives totalement hors d’atteinte des technologies de données précédemment utilisées (par les banques).

He oui, la banque, comme les telecom, c’est aussi un des secteurs les plus intensif en technologie de l’information !

6 thoughts on “Le futur de la banque

  1. Tres interessant comme tous vos articles. La banque progresse aussi, lentement mais surement. On trouve deja des banques qui ne travaillent que sur le web ce qui reduit les frais pour les consommateurs. Je pense que ce systeme ne fera que progresser.

Comments are closed.