Futur du mail : le Social Personal CRM

J’ai proposé un article pour le NextMail Workshop of 2011 IEEE/WIC/ACM (International Conference on Web Intelligence and Intelligent Agent Technology, 22 – 27 August 2011, Campus Scientifique de la Doua, Lyon, France) dont le texte est repris ci-dessous (en français).

Il fait partie d’une série de billets sur le futur du mail dont le premier traite des protocoles et les autres sont encore à venir et il fait suite à mes précédents billets sur le sujet : La banqueroute du mail, A quoi pourrait ressembler le futur du mail ?, Productivité du mail,  Important mais non urgent.

N’hésitez pas à me contacter, à me faire des remarques ou me poser une question (mon mail et un formulaire sont sur le lien contact en haut à droite) notamment si vous avez des projets, des idées ou des problèmes dans le domaine.

 

Le mail reste l’outil central des communications et relations personnelles

Le mail reste l’outil de communication le plus diffusé et le plus utilisé au monde malgré le développement d’autres canaux de communication (messagerie instantanée, messagerie directe Facebook).

Il détient les données les plus larges et les plus riches sur les échanges et les relations de son détenteur :

  • Des données actives et non pas seulement déclarative comme dans les réseaux sociaux professionnels (Linkedin, Viadeo)
  • Des données explicites mais aussi des données implicites à travers le graphe social des personnes intégrées dans les échanges et des données sémantiques qui les lient à travers les termes utilisés et les éléments attachés. Sur le potentiel de ces données et graphes sociaux implicites voir :

Le mail est un outil essentiel de l’activité professionnelle. Il est souvent considéré maintenant comme une application critique en entreprise. Le temps passé à l’utiliser est souvent considérable (d’où le « mail overload ») malgré le développement des applications collaboratives censés le décharger (documents, calendrier, tâches, plannings partagés).

Quelques liens sur le sujet :

C’est un outil universel aux utilisations multiples (http://gigaom.com/2009/04/24/why-email-clients-need-to-change/) :

  • Envoi et réception :
    • Conversation interpersonnelle (« fil » (thread) de mails)
    • Informations de groupe (« copie », liste de diffusion)
    • Gestion des tâches et activités
    • Partage de documents, fichiers, photos, liens,…
    • Organisation des réunions (« Meeting resquest »)
    • Reminder et synchronisation (envoi de mail à soi-même)
  • Réception :
    • Notifications (événements, demande d’action,…) et flux (Facebook, Direct Message Twitter, blog, Foursquare,…). Le mail est un système de notification universel pour les applications internet tant pour une vente privée que pour une application métier de workflow d’entreprise.
    • Informations (newsletter, mailing,..)
    • Confirmation d’inscription, de paiement, de commande, de suivi, de facture,…

Le mail est aussi un outil relationnel fondamental qui renferme le référentiel le plus complet de ses relations personnelles :

  • Dans ce cycle de vie d’un contact :
    • Prise de contact initiale
    • Prise de rendez-vous, confirmation de réunion
    • Compte rendu de réunion, confirmation d’action
    • Echanges d’information (documents,…)
    • Suivi de la relation (reprise de contact, information, vœux,…)
    • Mise à jour de situation
  • ·Dans les personnes associées aux :
    • Mêmes échanges
    • Mêmes entreprises
    • Mêmes sujets
    • Mêmes contact

L’utilisation du mail a peu changé, les problèmes qu’il pose ne sont que très partiellement adressés

Le mail a connu une croissance très importante en volume (même retraitée du spam et même avec les phénomènes de substitution vers la messagerie instantanée et les messageries directes des réseaux sociaux qui se manifestent très largement chez les jeunes générations).

Cette croissance a généré de nombreuses pathologies décrites comme « mail overload », surcharge cognitive, stress….

Malgré cela les comportements des utilisateurs se sont adaptés et ces problèmes n’ont pas atteint un niveau « stratégique » dans les entreprises :

  • La perception de l’importance unitaire du message a baissée. On est passé de « je réponds à tous les mails au plus vite » à « si tu ne me relances pas, comment veux-tu que je puisse le faire ? »
  • Le mode de traitement des mails s’est modifié. On est passé de « je traite tous les mails et je les efface ou les archives » (adapté pour un faible volume) à « je ne traite que les mails importants. Les autres je verrai plus tard (ou pas). Je n’efface rien, je stocke tout » (adapté pour un volume important).
  • Cela a été formalisé dans la méthode « Getting Things Done » (GTD) et dans certaines applications de productivité du mail centrée sur le filtrage et la priorisation des mails.
  • Cela a aussi été intériorisé dans les comportements managériaux et notamment ceux de « mise en tension » des organisations : je ne sais pas comment augmenter la productivité d’une activité intellectuelle alors j’augmente le volume du flux de travail et les activités de plus forte valeur ajoutée seront priorisées « naturellement » par les collaborateurs au détriment des autres moins importantes pour l’organisation qui seront délaissées.

Cette « résilience » de l’organisation à l’augmentation des volumes de mail a conduit :

  • A un faible développement des applications centrées sur le filtrage et la priorisation du flux des mails (Kwaga, OtherInbox, ClearContext, Liaise, EmailTray, Nubli, Attent…)
  • A une orientation vers le développement des applications collaboratives (partage de documents, planning, activités,…) en entreprise pour « décharger » le mail et favoriser une collaboration plus ouverte (par rapport à un groupe fermée de copie dans un mail).
    • Il ne s’agit pas là de remplacer ou transformer le mail, il s’agit uniquement d’améliorer un certain nombre de cas d’usage dont les « peines » étaient fortement ressenties par l’entreprise (non diffusion de l’information, difficulté de retrouver l’information, absence de captation ou de traçabilité de l’information, carence de conformité,..)
    • Le remplacement total du mail par des applications collaboratives intégrant un réseau social d’entreprise, comme expérimenté par Atos, me parait à ce stade encore illusoire car il manque le niveau d’interopérabilité que devrait procurer un protocole ouvert universel tel que Google Wave Federation Protocol (voir mon billet sur les protocoles du mail pour plus de détails).
  • A la prise en compte d’un premier niveau de résolution de cette problématique chez les fournisseurs de messagerie :
    • « Priority inbox » dans Gmail qui avait précédemment déjà introduit le mode d’affichage par « conversation » (threaded mail) permettant d’empiler les mails liés à une même conversation
    • « Outlook Social Connector » sur Outlook permettant de donner des informations plus riches sur son contact de mail et sur son historique de communication (cette fonctionnalité est directement inspirée de Xobni que Microsoft a tenté de racheter).
    • Les fonctions de productivité du mail, diversement adoptées par les utilisateurs : indicateurs d’importance, tag, indicateurs de suivi, règles de filtrage et classement automatique,….

Les startups qui se sont développées sur le domaine ont montré le potentiel d’une exploitation plus étendue des données du mail

Certaines startups se sont focalisées sur l’aspect « social » et « relationnel » de la messagerie organisée autour des contacts et non des messages, tel que :

  • Xobni
  • Etacs (racheté par Salesforce – service fermé)
  • Gist (racheté par Blackberry)
  • Rapportive

Elle s’inscrivent dans une perspective de transformation du mail pour en faire un outil de « Social Personal CRM » qui gèrera, et non pas simplement opèrera, les communications de l’individu. Et cela dans une perspective d’intégration des flux des autres canaux de communications (Facebook, Twitter, Linkedin,…) en un outil unificateur de communication.

La gestion du mail sur mobile et son intégration sociale constituent aussi un champ émergent de prédilection pour les startups du fait du développement de nouveaux scénarios d’usage.

Je précise que ces applications se positionnent comme des outils complémentaires du mail et non substitutif. Il ne s’agit pas de refaire un outil de messagerie, dont la complexité technique sous-jacente est élevée, mais de le compléter avec une couche applicative complémentaire.

Ces startups ont montré une traction certaine du marché sur le sujet, ne serait-ce que parce qu’elles se sont faites racheter ou copier par des acteurs de premier plan (Xobni par Microsoft). Elles ont montré une adoption importante montrant l’existence d’un besoin ressenti par les utilisateurs. Elles doivent maintenant transformer et étendre ce besoin à une base plus large.

Pour réussir cette étape, ces nouveaux outils font face à un problème d’adoption spécifique posé par le mail dans le sens ou sa très grande facilité d’usage conduit :

  • A attendre le même niveau de simplicité d’usage de toute nouvelle application
  • A toujours permettre de se replier sur des scénarios d’usage traditionnels plus fastidieux mais facile à mettre en œuvre.

Il faut alors transformer la population des « early adopters » en utilisateurs réguliers et pousser l’adoption auprès de la masse des utilisateurs « génériques ».

Qu’elles sont les pistes d’évolutions futures du mail ?

Le « Social Personal CRM », déjà évoqué, me semble être au centre des évolutions futures du mail.

D’abord dans le déplacement du centre de gravité du mail du message vers le contact. Un message ne s’apprécie plus de manière autonome mais au sein d’un échange (le mode conversationnel initié par Gmail) et surtout par rapport à une personne et à l’historique des échanges que l’on a avec lui.

L’intégration d’autres données sur la situation de l’individu (Linkedin, Viadeo,…) et d’autres flux de communication (Facebook, Twitter, Quora…) enrichissent et étayent cette approche car l’individu et son historique de relation constitue le meilleur critère de priorisation et celui-ci est d’autant plus pertinent que les flux sont nombreux et il a d’autant plus d’utilité que les flux sont nombreux.

On voit ici une convergence ou une complémentarité avec les outils de gestion des flux (Facebook, Twitter,…) comme Seemic ou TweetDeck. Ce qui est assez normal car il est facile de faire croitre son nombre de contacts Facebook ou de « followés » Twitter et cela peut générer rapidement un volume de flux très important où la priorisation et le filtrage deviennent indispensable.

Ces outils de gestion de flux amènent une approche nouvelle du filtrage :

  • Par le caractère « ouvert » des conversations (la sphère des amis d’amis, l’inscription libre de « followés », la recherche directe ou l’affichage des mots clés en « tendance » dans l’ensemble du flux social).
  • Par un graduation plus progressive de « l’engagement social » : on n’est pas forcé d’entrer en communication avec quelqu’un directement comme avec le mail. On peut d’abord suivre son flux, relayer ou recommander ses conversations ou avoir une discussion « publique » avec lui. Cela facilite la mise en relation amont qui n’est pas du tout gérée par le mail.
  • Par contre, hormis le concept de groupe (groupe Facebook, liste Twitter), cette notion de degré d’engagement n’est pas géré dans ces outils. Il faut dire qu’elle est aussi émergente dans le mail.
  • Un point à noter, c’est le caractère de gestion « de masse » de ces outils lié à la nature publique ou semi-publique des flux : il est tout aussi possible de suivre les flux d’un individu, que d’un groupe, d’une communauté ou d’une entreprise. C’est une opportunité marketing pour les entreprises qui voient fleurir les solutions de CRM « social » – non personnel – (pour écouter et participer aux conversations avec l’ensemble de leurs clients et prospects ). On se situe là dans une logique d’industrialisation de masse comme dans la gestion de campagne marketing excepté qu’il s’agit d’une interaction personnelle de l’autre coté.

La gestion relationnelle est la suite logique de la refocalisation sur le contact. Il ne s’agit plus seulement de gérer le flux mais d’être prédictif et pro-actif sur ce flux.

  • Initier ou entretenir des contacts
  • Développer son réseau selon des orientations définies de manières planifiée ou opportuniste
  • Suivre les évolutions de ses contacts et y adapter les règles et actions de communication qui leur sont appliquées
  • L’équivalent de ce que fait (faisait) une bonne assistante : rappeler qui devrait être contacté, comment profiter des opportunités de communication ou de rencontre, établir la liste des personnes à qui envoyer ses vœux,…
  • Cela a d’autant plus d’importance que le développement des relations et réseaux est maintenant devenu une composante indispensable de beaucoup de poste (indispensable mais implicite car souvent géré à l’initiative de la personne et à l’extérieur de l’entreprise).

Un troisième point clé est la notion de délégation des contacts.

  • Elle part de deux constats :
    • Dans une entreprise, les contacts internes, établis par les employés, sont la source la plus riche de contacts mais ils sont aussi aujourd’hui les plus difficilement exploitable car les employés ne disposent pas d’outil de collecte et de mise à disposition (seules16% des entreprises françaises utilisent leurs contacts internes pour des actions de marketing !)
    • Du fait de la densité des relations humaine, les contacts pertinents que l’on recherche peuvent souvent être trouvés dans un groupe proche à une très faible distance sociale. Mais il n’existe aucun moyen, autre que la machine à café, pour les trouver. Il s’agit là d’une conséquence de la combinaison de la théorie des 6 degrés (nous ne sommes éloignés que de 6 degrés de relation de l’ensemble des personnes du monde selonMilgram) et des liens faibles (les personnes avec lesquelles on a des liens faibles « filtrent » mieux l’information que celles avec lesquelles ont a des liens forts selonGranovetter).
    • Altares (D&B) a ainsi mené une expérience de collecte, retraitement par un outil de gestion de campagne et partage de contacts Outlook au sein de la société qui a donné de très bon résultats pour identifier des contacts très qualifiés.
  • La conséquence est évidente : il faut partager ses contacts ! Plus facile à dire qu’à faire car il n’est aujourd’hui pas possible :
    • De partager les contacts de sa messagerie avec d’autres personnes
    • De déléguer la gestion des contacts de sa messagerie avec un outil de CRM
  • Car il ne s’agit pas ici de faire du partage en mode spam. Le « propriétaire » du contact est généralement soucieux de ne pas exposer celui-ci à des sollicitations non adaptées et d’être valorisé de toute nouvelle mise en relation potentiellement bénéfique pour tous. Un contrôle de l’utilisation des données permettant d’être notifié et d’approuver (unitairement ou selon des règles) le contact est donc nécessaire, comme une forme de « permission marketing ». Ce type de mécanisme existe déjà avec le protocole d’autorisation oAuth notamment mis en place dans Facebook pour donner, révoquer ou modifier les droits d’accès aux données accordées aux applications Facebook.
  • Ce partage des contacts est aussi bénéfique pour les utilisateurs car il leur permet de mieux faire profiter ceux-ci des ressources et actions des processus CRM d’entreprise. Par exemple d’actions de communication ou d’événements marketings dont le « possesseur » du contact peut avoir un retour (le contact a été invité et a participé ou pas à tel événement,…) et le re-exploiter à la suite dans sa relation personnelle avec ce contact.
  • Rapportive, une startup centré sur la gestion enrichie des contacts a ainsi ajouté une vue « What do my apps say? » de ses contacts et une intégration avec un certain nombre d’outils CRM :
    • MailChimp
      Powerful e-mail marketing. Instantly see your members’ ratings, opens and clicks.
    • Bantam Live
      Team Workspace with Contact Management, CRM, and Social Network integrations.
    • BatchBook
      Social CRM, contact management and social media monitoring all in one.
    • BookingBug
      In a business which manages bookings? Improve your workflow now: manage bookings within your email.
    • Brightpearl
      Accounting and CRM for small businesses. Manage your customers directly inside Rapportive.
    • CrunchBase
      Essential intelligence for every entrepreneur and investor

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