Le fichier positif de credit

Le fichier positif de crédit est un fichier qui recense l’ensemble des crédits souscrits par les particuliers et l’historique de leur paiement. Il n’existe pas de fichier positif en France contrairement aux USA et à la plupart des pays européens (sauf au Danemark et en Finlande).

La France dispose aujourd’hui d’un fichier négatif qui est le Fichier National des Incidents de Remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP). Il recense, comme son nom l’indique, les défauts de remboursement de crédit. Il existe un autre fichier négatif en France le Fichier Central des Chèques (FCC) qui recense les incidents sur les paiements par chèque (chèque sans provision) qui peuvent déboucher sur l’interdiction de chéquier. Plus d’information sont disponibles sur le FAQ Fichier positif.

Le fichier positif peut aussi être complété de données d’historique de paiement provenant de grands opérateurs facturiers. Ces données présentent l’avantage de bien couvrir l’ensemble de la population en étant relativement bien centralisées et normalisées. Il s’agit des opérateurs télécom, énergie et eau. Les individus possèdent généralement d’autres historiques de paiement tels que ceux relevant du fisc ou de l’habitation mais ils ne possèdent pas les caractéristiques de fiabilité, de neutralité, de centralité et de normalisation des précédents.

L’information mise à disposition à partir du fichier positif peut être brute (l’ensemble des données d’historique) ou être retraitée pour fournir une information exploitable de plus haut niveau. On parle alors de système de notation ou de scoring. L’information est ainsi exploitable sous la forme :

  • De classe de risque (les emprunteurs sont positionnés dans des classes de risque de A (les meilleurs ou « primes ») à F-G (les « subprimes »)
  • D’une note (par exemple le score FICO aux USA compris entre 300 et 850)

Le score FICO utilisé aux USA est un des plus connu. Il est constitué d’une combinaison d’historique de paiements, sommes dues, longueur de l’historique de crédit, activités d’ouverture de nouveaux crédits et types de crédits utilisés (plus de détails ici).

En France, le FICP est alimenté et consulté par les banques et les organismes de crédit. Son existence découle de la loi bancaire et il est couvert par le secret bancaire et contrôlé par la CNIL.

L’inscription à ce fichier conduit à ne plus pouvoir obtenir de crédit. Aucune loi, réglementation ou règle prudentielle n’interdit aux banques ou aux institutions financières de prêter à des personnes FICP, celles-ci peuvent même avoir de très bons profils de solvabilité, mais c’est la règle de la profession.

Le débat actuel sur le fichier positif en France est difficile à appréhender du fait de la charge idéologique qui lui est associée (je dirai même que cela vire parfois à la malhonnêteté intellectuelle).

Il y a à cela deux causes :

  • D’abord il comprend deux sujets qui relèvent de problématiques très distinctes mais qui sont allégrement amalgamées :
    • Le bénéfice social (réel ou supposé) du dispositif
    • Le contrôle de l’utilisation des données du fichier positif
  • Ensuite, il y a un véritable enjeu stratégique pour les banque car l’absence de fichier positif constitue une barrière à l’entrée pour les nouveaux entrants sur le crédit. La meilleur illustration de cet état de fait c’est que La Banque Postale (nouvel entrant sur le marché du crédit) est pour alors que les banques déjà établies sont contre (cf ces deux très bon articles de Libération : les pour et les contre). Bien sur, cet argument de la concurrence du marché n’est guère mis en avant, voire même simplement évoqué dans le débat (au profit d’autres arguments plus « sociaux », plus respectables d’un point de vue marketing). Il est intéressant à la suite de revisiter les positions de chacun des acteurs à la lumière de cet aspect.

Pour clarifier ma position, je suis Directeur Général de FriendsClear, le 1ere service de prêts participatifs entre particuliers en France et nous sommes membre de l’initiative en faveur du fichier positif (www.fichierpositif.com) lancé avec Crésus, Banque Accord / Oney, Aqoba, Prêt et crédit et Experian.

 

Le bénéfice social (réel ou supposé) du dispositif

Là encore, il faut distinguer différents aspects :

  • Le surendettement
  • L’accès au crédit
  • L’amélioration des conditions de crédit

 

Le surendettement

Aujourd’hui le FICP a été étendu afin qu’y soient enregistrés les personnes en situation de surendettement traitées par les commissions régionales de surendettement de la Banque de France. Autrement dit, seuls les cas de surendettement « au bout du bout » sont enregistrés dans ce fichier qui n’a donc aucune utilité préventive. Aucun dispositif n’existe pour identifier les cas de surendettements en amont et éviter l’accumulation de crédits auprès d’établissements qui ne partagent pas leurs fichiers. Dans ce domaine, la loi en cours ne fait que renforcer des obligations de contrôles préexistantes mais qui ont l’inconvénient de se faire :

  • Sur base déclarative
  • Par prescription comportementale pour les acteurs du financement.

Cela permettra probablement d’éviter certains abus et dérives actuels mais ne freinera pas ceux qui, par « omission », sauront comment répondre pour obtenir un crédit. Il s’agit d’une réponse essentiellement politique et marketing car aucun dispositif de contrôle « réel » n’est mis en place.

La mise en place d’un fichier positif permettrait un traitement préventif du surendettement. Il ne serait plus possible de s’adresser à différents établissements de crédit ne partageant pas leurs fichiers pour « empiler » plusieurs crédits, individuellement supportables, mais qui au final génèrent une situation de surendettement.

Les opposants au fichier de crédit positif font remarquer que le basculement dans une situation de surendettement est le plus souvent du à des « accidents de la vie » tels que chômage, divorce ou invalidité et que le fichier positif n’aura aucun impact sur ce point. Il ont certes raison sur le fond mais :

  • Si cela peut éviter le surendettement de ceux qui ne sont pas concernés par les « accident de la vie » (13% des cas selon l’article de Libération soit environ 100.000 personnes)
  • Si cela peut permettre d’identifier et d’intervenir plus en amont pour ceux victimes « d’accidents de la vie » avant qu’ils n’entrent dans une spirale de surendettement (et non après – lorsque la situation a empiré – comme aujourd’hui).

Alors le fichier positif aura un rôle bénéfique pour la société !

Mais le surendettement n’est pas le point le plus important du fichier positif. Il est assurément difficile de s’en rendre compte en suivant le débat. L’intensité dramatique des situations de surendettement les porte légitimement sur le devant de la scène (et il est alors difficile de rétorquer, comme le font les opposants au fichier positif, que ce n’est pas la peine de le mettre en œuvre car cela n’aiderait « que » 100.000 personnes).

Cependant, le vrai sujet du fichier positif c’est l’accès au crédit et cela concerne une population bien plus nombreuse.

 

L’accès au crédit

Toutes les demandes de crédit ne sont pas financées. On peut estimer, de manière très générale car cela dépend du contexte et évolue dans le temps, qu’environs 30% des demandes débouchent sur des crédits (donc 70% des crédits demandés ne sont pas accordés). Il est tout à fait normal et légitime qu’un grand nombre de demandes soient refusées. Les demandeurs peuvent ne avoir la capacité à rembourser ce crédit ou ne pas avoir la surface financière suffisante pour assumer un imprévu dans leur budget ou ne pas être assez impliqués ou responsabilisés dans le remboursement de leur crédit.

Cependant, certains demandeurs se voient refuser leur demande bien qu’ils n’entrent dans aucune de ces catégories d’exclusion.

Les banques se fondent généralement sur des éléments d’historique et de structure de revenus ou de solvabilité financière (la possession de biens ou l’existence de garanties de type caution ou hypothèque) pour déterminer l’attribution des crédits. Cette méthode tend à privilégier l’existence d’historique de revenus stables. D’où l’appétence particulière pour les fonctionnaires ou les personnes en poste depuis de nombreuses années dans la même entreprise. A contrario, elle pondère défavorablement des profils « atypiques » par rapport à ce standard tels que freelance, intérimaire, étudiant, chômeur, congé sabbatique, etc. Une partie de ces profils sont atypiques mais solvables et se voient ainsi privé de l’accès au crédit. Une étude faite par le cabinet Mercer Oliver Wyman (2003) rapporté par le Sénat avait montré que cette population représentait environ 15% de l’encours de crédit pour les crédits immobiliers. Si l’on considère que l’encours moyen de ces populations devrait être inférieur par rapport à la moyenne et que les conclusions sur les encours immobiliers sont extrapolables aux autres encours de crédit, on peut considérer que l’on adresse plutôt environ 20% de la population. D’autres estimations font d’ailleurs plutôt état d’une proportion de 40% de la population exclus du crédit (Laser CofinogaCrésus).

Cela n’est pas si surprenant car les mutations actuelles de l’économie tendent à développer de nouvelles formes de flexibilité, des parcours professionnels plus évolutifs et moins linéaires ainsi que des formes de précarisation des emplois. Evolutions qui restent à l’écart de la représentation dominante du travail privilégiée par les banques. Cela pose un vrai problème de société : si vous êtes intérimaire ou free-lance, par choix ou plus généralement par nécessité, que vous n’avez pas de perspective que votre activité se « transforme » en Contrat à Durée Indéterminée, alors cela veut-il dire que vous ne pourrez jamais obtenir de crédit pour acheter un appartement, une voiture ou refaire une salle de bain même si votre niveau de revenu vous le permettrait ? C’est une question d’équité et de justice sociale et il est surprenant que cette préoccupation soit si peu évoqué concernant le fichier positif.

En quoi l’existence d’un fichier de crédit positif permettrait alors d’améliorer l’accès au crédit des profils atypiques ?

Fondamentalement en permettant de constituer un historique d’éléments pour asseoir leur réputation financière. En premier lieu l’historique des remboursements de crédits selon la règle : une fois que l’on a montré que l’on savait rembourser de petits crédits, on peut s’en voir accorder de plus importants.

Pourquoi étendre l’information à d’autres éléments d’historique que les crédits ?

Le seul historique de crédit représente déjà une étape mais peut s’avérer insuffisant : on peut ne jamais avoir contracté de crédit ou, à l’inverse, il serait embêtant d’avoir à contracter un précédent crédit pour se « construire » un historique en vue d’en contracter un plus important. Aux USA, il est rare de ne pas avoir d’historique de crédit car les cartes de crédit (adossées à une réserve de crédit) sont très répandues et elle permettent de se constituer un tel historique.

La meilleure solution pour l’utilisateur serait de pouvoir communiquer directement les données de son compte bancaire ou, mieux encore, de donner accès à certaines données agrégées ou filtrées de son compte bancaire, par exemple un historique de revenu sur longue période ou un profil de dépense en adéquation avec son profil de revenu (toutes choses qui sont totalement accessibles à votre banquier aujourd’hui sans aucun filtrage). Cela lui permettrait de produire des éléments pour justifier l’octroi du crédit. Mais ceci n’est pas possible aujourd’hui pour tout un ensemble de raisons notamment juridiques et techniques.

L’alternative à produire ses propres éléments à partir de ses données personnelles est d’en agréger un nombre réduit des plus significatifs dans un référentiel externe directement à partir des données sources. On comprend mieux alors l’intérêt de compléter le fichier positif, à coté de l’historique de crédit, des historiques de paiements les plus courants (opérateur télécom, énergie, eau).

L’extension de l’information « qualifiée » susceptible d’être transmise aux organismes de crédit bénéficierait aussi à des emprunteurs « typiques » pour améliorer les conditions de leurs prêts à l’image de ce qui se fait dans l’assurance (où l’on peut réduire sa prime en transmettant plus d’information). Elle conduirait aussi probablement à mieux « filtrer » certains profils qui aujourd’hui “passent entre les mailles du filet” de l’analyse.

 

L’amélioration de la concurrence

Pourquoi l’absence de fichier positif réduit-elle la concurrence ?

En fait ce n’est pas uniquement l’absence de fichier positif qui constitue une barrière à l’entrée pour les nouveaux entrants car il est toujours possible de construire des modèles de scoring « ex nihilo » permettant d’évaluer les demandes de crédit. C’est la combinaison à la fois de l’absence de fichier positif (qui renchérit le risque pour les nouveaux entrants) et du plafonnement des taux (qui empêche les nouveaux entrants de répercuter ce risque sur leurs clients au delà d’un certain seuil) qui crée une véritable barrière à l’entrée pour les nouveaux entrants.

Le marché français est-il insuffisamment concurrentiel à tel point que l’introduction du fichier positif puisse le redynamiser ?

La réponse à cette question est très difficile à établir. En terme d’analyse concurrentielle, le marché bancaire français est constitué d’un nombre réduit d’acteurs donc plutôt en situation oligopolistique. Cet aspect est renforcé par une culture plutôt averse à la concurrence des banques (elles préfèrent renoncer à des innovations plutôt que de concurrencer des produits ou canaux existants). Mais en même temps, les acteurs sont de force et ont des modèles similaires et peuvent présenter sur certains segments une intensité concurrentielle forte.

De manière générale, l’amélioration de la concurrence est toujours positive pour le consommateur final même si, dans le cas présent, les bénéfices peuvent prendre un certain temps à se matérialiser du fait de l’inertie du marché. La position de l’association de consommateur UFC-Que choisir qui ne soutient pas le fichier positif est donc assez étonnante.

 

Le contrôle de l’utilisation des données du fichier positif

Un argument qui revient souvent chez les opposants du fichier positif c’est sa non-conformité avec la réglementation de la CNIL.

Cet argument relève de la plus totale mauvaise foi.

En l’état actuel, le fichier positif ne peut pas être conforme avec la réglementation car les fichiers financiers et notamment le FICP ne respectent pas la réglementation commune de la CNIL.

Vous en doutez ?

Posez-vous alors la question : une personne inscrite au FICP peut-elle consulter et corriger (s’il y a légitimement des erreurs) des éléments de son dossier personnel ?

La réponse à cette question est négative ce qui va à l’encontre de la réglementation.

Vous ne pouvez pas savoir quelle est votre situation par rapport au FICP et vous ne pouvez pas faire modifier une information erronée (dans des conditions normales).

Les conséquences sont :

  • Une part significative des personnes inscrites au FICP ne le savent pas.
  • Certaines personnes croient aussi être inscrites au FICP mais ne le sont pas (nous avons rencontré un cas dans nos client chez FriendsClear).

Des moyens de contournement ont néanmoins été mis en place pour afficher un semblant de légalité tout en dressant des obstacles à l’exercice effectif de ce droit :

  • Il existe ainsi une procédure dérogatoire qui permette à un particulier de consulter sa situation sur le fichier FICP en se rendant en personne dans une agence de la Banque de France où sa situation lui est communiquée uniquement par oral. L’absence d’écrit est profondément choquant car l’écrit est la base de l’état de droit. Sans écrit, il n’y a pas de preuve, il n’y a pas d’opposabilité, il n’y a pas moyen d’exercer son droit. Evidemment, il est toujours possible de prendre un avocat et d’entamer une procédure devant un tribunal mais ce n’est pas ce que j’appelle exercer son droit de consultation et de correction.
  • La consultation et la correction sont totalement séparées. Vous pouvez consulter votre situation à la Banque de France mais c’est à votre banque qu’il faut s’adresser pour corriger les éventuelles erreurs (même avec tous les justificatifs). De plus, la mise à jour du fichier FICP entre les banques et la Banque de France présente des délais de mise à jour et des dysfonctionnement qui aggravent encore ce point. Un député, cité par Libération, qualifie ainsi le fichier FICP « d’«archaïque», «non mis à jour», au point qu’on pourrait presque «excuser» les banquiers de ne pas le consulter ». Ce qu’il faut savoir c’est que la transmission des données est faite sur une base mensuelle (elle devrait passer à la journée suite à la dernière loi sur le crédit). De plus les banques ont pris l’habitude de travailler avec des copies du fichier FICP (probablement du fait de ses dysfonctionnements). Elles ont donc tendance à conserver des historiques (des personnes sorties du FICP mais qui restent dans leurs bases) et à trainer dans la transmission des mises à jour.

Cette situation n’est pas si surprenante que cela. Les fichiers bancaires font partie des données parmi les plus anciennes à avoir été gérées dans des fichiers et cela avant l’arrivée de l’informatique. Ils sont d’une ère pré-numériques et ont été régulés (et légitimés) par des lois bien antérieures à la réglementation CNIL. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls à ne pas respecter les principes de la réglementation : les données médicales et administratives sont dans la même situation (posez-vous la question : puis-je consulter et modifier des données de mon dossier médical ou les données de ma carte d’identité -ne serait-ce que celles pour lesquelles je suis légitime de le faire par exemple ma taille ou la couleur de mes yeux si ces informations sont erronées-) ?

La CNIL ne s’y est pas trompé : elle ne s’est pas prononcé sur le fichier positif et a dit qu’une loi était nécessaire.

Des fichiers positifs existent néanmoins déjà puisque les banques constituent leurs propres fichiers en interne sur la base de l’ensemble des données de leurs clients et les consolident au sein des groupes auxquelles elles appartiennent en toute légalité.

L’argument des opposants au fichier positif, cité dans l’article de Libération,  «Est-on prêt à donner aux banques la possibilité d’embrasser toute notre situation ?» apparait très spécieux car c’est déjà le cas pour leurs propres clients. Et surtout, en l’absence de réglementation sur l’accès à ce type de données (inutile puisque le fichier positif n’existe pas), elles peuvent les exploiter sans aucune possibilité de contrôle de la part des clients. Rappelons qu’en France, les données bancaires des clients ne leur appartiennent pas. Elles sont mises à disposition par relevé ou consultation internet ou électronique mais elles ne sont pas récupérables en totalité par la suite (notamment si vous changez de banque) par exemple pour fournir des éléments de réputation numérique pour obtenir un crédit (mais aujourd’hui c’est de la science-fiction pour les banques).