Plaidoyer et propositions pour un nouveau cadre reglementaire pour la Finance Participative

L’association finpart (financement participatif) a sorti le « Livre Blanc Finance Participative Plaidoyer et propositions pour un nouveau cadre règlementaire » qui fait suite au manifeste et à lapétition en faveur du financement participatif (que je vous invite à signer) lancé lors del’évènement Financement Participatif à la Bourse de Paris le 26 Mars 2012.

(disclaimer : J’ai participé à la rédaction de ce Livre Blanc dont j’étais en charge des groupes « Collecte » et « Prêt »)

Ce Livre Blanc a été discuté lors du Crowdfunding Camp qui s’est tenu le 9 juillet à la Cantine.

Quelques questions pour préciser certains points suite aux échanges du Crowdfunding Camp

Pourquoi y a-t-il un problème avec la règlementation actuelle ?

La règlementation actuelle repose sur le schéma de relation entre un gros acteur (qui commercialise des produits financiers) avec plusieurs petits acteurs (les épargnants-investisseurs). Elle est donc totalement orientée vers la protection des épargnants, considérés comme passifs, en imposant aux commercialisateurs d’assurer par eux-mêmes la protection des épargnants, voire à l’insu de la volonté de ces derniers.

La finance participative repose sur un autre modèle de relation de petits acteurs à petits acteurs. Ce type de modèle ne pouvait pas être pris en compte par la règlementation car il n’existait pas précédemment. Si l’on se projette des dizaines d’années en arrière, à l’époque où les fondements de la règlementation actuelle ont été mis en place, on ne pourra pas trouver d’exemple de financement participatif. Les seuls modèles auxquels il est possible de se référer sont :

  • La souscription publique réservée à la presse et à des cas d’usages restreints hors champ bancaire et financier.
  • Le modèle mutualiste mais qui n’existe plus dans sa forme originelle (accessible à une communauté de particuliers).
  • Les modèles de groupes privés restreints (tontine,…) qui sont hors règlementation et surtout hors sphère publique.
  • Les business angels (investisseurs privés) mais qui sont spécifiquement traités à part par la règlementation comme « investisseurs qualifiés ».

Ce qui a changé la donne c’est internet à la fois dans sa dimension technique (accès à l’information, la mise en relation à grande échelle des individus) mais aussi dans sa dimension comportementale (le pouvoir accru donné aux utilisateurs (« empowerment »), l’acceptation de révéler plus d’information pour en attendre un retour collaboratif). Cela change les schémas de relations entre les acteurs en faisant émerger un nouveau schéma de petits acteurs à petits acteurs. Il ne s’agit plus de financer de gros projets dont la complexité ne peut être appréhendée que par des experts mais des projets à taille compréhensible par les internautes et pour des montants limités pour chaque contributeur, l’extension d’internet permettant de rassembler un grand nombre de contributeurs.

Internet n’est néanmoins pas une caractéristique constitutive du financement participatif. Un groupe de business angels ou des investisseurs locaux peuvent très bien s’organiser de manière physique pour faire du financement participatif. Ce modèle de communauté connait néanmoins une extension limitée et internet permet justement de l’étendre au-delà de cette barrière.

Internet crée un nouveau modèle de relation différent avec des avantages et des inconvénients spécifiques :

  • Une extension très importante du nombre potentiel de contributeurs qui rend possible des contributions très ciblées (à l’exemple de la pathologie rare pour le financement de la recherche médicale comme présenté ci-dessous)
  • Un niveau d’implication plus faible, voire superficiel par rapport à une relation en face à face (prépondérance des utilisateurs « commentateurs » plutôt que « contributeurs »)
  • Une rapidité d’interaction bien plus importante.

Un autre point hors de compréhension de la règlementation actuelle est l’aspect secondaire de l’instrument d’investissement par rapport à l’affectation au projet. La volonté de l’internaute sur un projet qu’il comprend et qu’il veut soutenir est d’investir sur ce projet et d’en attendre un retour (ou pas en fonction des modalités présentées par le projet). Le choix de l’instrument d’investissement (don, prêt, capital mais il peut en exister aussi de nombreuses autres : avances, part de coopérative,…) est secondaire, charge au projet de réaliser son objectif avec un risque assumé par le contributeur. Dans la règlementation actuelle, ce schéma n’existe pas. On choisit avant tout un instrument d’investissement (don, prêt, capital et autres) et cet instrument d’investissement fixe l’ensemble des modalités de son investissement. Il n’est donc pas possible de modifier les modalités d’investissement au départ ou lors du cycle de vie du projet, ni de les panacher. Par exemple en répartissant un investissement entre capital, prêt et avance remboursable ou en transformant un prêt en capital ou du capital en prêt. Modalités qui n’ont certes pas de sens pour une société coté ou un projet d’autoroute émettant des obligations mais correspondent à la réalité pour des projets de taille et de périmètre beaucoup plus limités. Un projet d’entreprise en création peut ainsi être financé par du don, des avances remboursables (pré-ventes), du capital puis du prêt ou une combinaison de l’ensemble de ses moyens dans les toutes premières phases de son développement.

Ce problème est encore plus flagrant dans le financement des projets « solidaires ». Un contributeur qui veut soutenir un projet doit choisir entre du don (sur une plateforme de « don contre don » comme Ulule ou Babeldoor), du prêt sans intérêt (sur une plateforme comme Babyloan ou MicroWorld) ou du capital (comme par exemple un OPTF (Offre au Public de Titres Financiers) telle que la propose l’organisation de développement durable « Terre de lien »). Chaque service se retrouve en fait « spécialisé » par le positionnement du porteur de projet en terme d’instrument financier. Le cas de l’OPTF (Offre au Public de Titres Financiers) « Terre de lien » est très révélateur. Pourquoi un organisme solidaire utilise t-il un support d’investissement en capital normalement éloignée de la sphère solidaire ? Tout simplement parce que, très pragmatiquement, c’est celui qui offre les modalités de collecte et d’affectation des fonds les plus souples et que la règlementation n’offre pas de moyen alternatif commode de financer en direct des projets.

Un autre cas de figure qui marque bien ce problème est celui des projets de recherche dans le domaine de la santé. Un particulier peut vouloir soutenir la recherche fondamentale sur une pathologie très pointue et très précise sous forme de don (ce qui exclut un don à une association et une fondation qui elles-mêmes réaffectent les fonds sans référence aux projets menés). Il peut vouloir soutenir une startup qui développe un traitement innovant sous forme de capital. Et il peut soutenir la mise sur le marché d’un traitement abouti d’une entreprise innovante sous forme de prêt. Pour une même thématique et un même contributeur, différentes formes d’investissement sont donc nécessaires pour s’adapter à la réalité.

On pourrait aussi envisager d’appliquer le financement participatif à des projets d’investissements publics notamment au niveau local, mais là on est un peu dans la science-fiction et cela pose des problèmes autrement plus conséquents qui n’ont plus rien à voir avec la règlementation financière.

Quels sont les contraintes amenées par la règlementation ?

Les contraintes amenées par la règlementation sont les suivantes :

  • Obligation d’information et de rédaction d’un « Prospectus » visé par les autorités de tutelle dans le cadre d’une promotion publique avec « Appel public à l’épargne » (appelé maintenant OPTF : Offre Publique de Titre Financier)
  • Agrément pour la collecte et la conservation des fonds (de type statut d’ « Etablissement de Monnaie Electronique ») impliquant :
    • des obligations de Connaissance des clients (identité) (Know Your Customer) et de contrôle de l’origine et des opérations financières (anti-blanchiment)
  • Agrément pour la distribution de produits financiers et l’intermédiation entre investisseurs et projets (de type statut de « Prestataire de Service d’Investissement)
    • Incluant des obligations de qualification du niveau d’expertise financière des clients et d’adaptation à ce niveau des produits distribués (Il est par exemple interdit de proposer des produits de microfinance qui sont considérés comme trop risqué par rapport à la compétence des épargnants lambda)
    • Autorisant la conservation et l’affectation des fonds sur des projets ainsi que leur reversement
  • Agrément de gestion des instruments de « placement » maintenant le lien juridique entre les contributeurs et les projets et permettant de gérer le transfert juridique des fonds aux projets (de type statut organisme de placement collectif de titres, OPCVM, FCP)
    • Instrument permettant d’intégrer en capital ou prêt dans les projets les fonds collectés, de syndiquer les contributeurs et de gérer de manière isolé les opérations financières de chacun des projets.

Chaque instrument (don, prêt, capital) ayant ses propres règlementations qui s’appliquent aussi notamment en matière fiscale.

Le régulateur belge a fait une présentation complète de ce qu’impliquait une activité de crowdfunding au regard de la législation belge. Les principes et textes de loi seraient similaires en France (modulo les modalités nationales de transposition des directives européennes qui rendent très difficile le déploiement d’un service d’un pays à l’autre en Europe.).

Pour plus de détail sur la comparaison des différentes règlementations :

Pourquoi la finance participative se différencie t-elle de la finance traditionnelle (le principes des sociétés par actions n’est-ce pas « participatif ») ?

Je propose trois critères principaux pour caractériser la finance participative :

  • Transparence des projets
  • Choix de l’affectation des fonds
  • Traçabilité des contributions

La transparence des projets correspond à la possibilité de consulter des informations unitaires sur les projets présentés à financement. Cela ne préjuge pas du niveau d’information qui peut varier en fonction des modèles (du business plan complet d’entreprise pour du financement en capital comme Wiseed à la catégorisation du projet selon des critères fermés pour du prêt comme Lending Club), ni de l’origine des projets (des projets à financer comme Wiseed ou des projets déjà financer à refinancer comme Babyloan ou Kiva). Le projet présenté doit avoir une unité appréhendable en totalité. L’affectation des fonds doit être claire et ne pas ménager une pluralité de projets ou d’activités différenciées, à la différence des sociétés cotées en bourse.

Le contributeur doit être à même d’exercer un choix, de manière directe ou indirecte, sur la sélection des projets qu’il finance. Ce choix peut être indirect dans le sens où un contributeur peut sélectionner un ou plusieurs projets sur la base de critères (localisation géographique, type de projet, montant, etc…) sans qu’il ait nécessairement à se prononcer projet par projet. Il est aussi possible que ce choix soit inscrit dans une logique de mutualisation des projets qui est parfois rendue obligatoire par la règlementation financière (c’est le cas pour les prêts professionnels pour FriendsClear). Cette capacité de choix au niveau unitaire du projet n’existe dans aucun produits financiers traditionnels.

Le contributeur doit conserver, de manière facile (typiquement via un compte sur internet) la traçabilité unitaire, projet par projet, des choix et des financements qu’il a effectué et cela a minima sur la durée de vie du projet ou la durée de conservation de l’instrument qui a été utilisé en support de son financement. Cette traçabilité n’existe dans aucun produits financiers traditionnels.

Un autre critère important pour différencier la finance participative c’est la notion de seuil. La finance participative ne se conçoit que pour des projets d’ampleur limitée (appréciable et évaluable par la foule sans nécessiter le recours à des instruments de professionnels tels les « prospectus ») et pour des participations individuelles de montants limitées (l’effet de financement par la foule).

En quoi la proposition du « courtier en financement participatif » contenue dans le Livre Blanc résout les problèmes ?

Le courtier en financement participatif rassemble en une seule entité, l’ensemble des capacités nécessaires pour réaliser des opérations de financement participatif – dans le strict cadre du périmètre du financement participatif tel que définit plus haut – :

  • Présenter des projets de manière publique sans nécessiter d’appliquer les contraintes « prospectus »
  • Collecter, conserver, verser et reverser des fonds sans nécessiter un statut d’opérateur dédié et en limitant les obligations de connaissance client
  • Gérer l’affectation des fonds et les opérations financières pour les regroupements de contributeurs sur chaque projet
  • Conserver le lien juridique entre les contributeurs et les projets (conservation des « titres » de chaque contributeurs dans chaque projet)

Il ne peut utiliser ces capacités que pour des projets de financement participatif et dans la limite des seuils fixés.

Cette proposition ne crée t-elle pas un précédent incompatible avec la logique de la règlementation ?

Cette proposition nous parait la plus compatible avec la règlementation existante. La notion de courtier existe depuis longtemps dans la règlementation et s’applique à la fois dans la sphère financière et non financière (courtier immobilier).

La règlementation admet déjà de nombreuses catégories spécialisées de courtier par exemple sur le marché monétaire, le marché des changes, les instruments financiers à terme-options, etc

La règlementation admet aussi déjà des exemptions par exemple sur le statut d’Etablissement de Monnaie Electronique .

La règlementation a aussi déjà autorisé des dispositifs avec des périmètres d’opération similaires mais plus limité et plus spécialisé que celui du courtier participatif par exemple pour les plateformes de prêts solidaires.

L’aménagement de la règlementation pour permettre aux startups et petites entreprises d’accéder à des financement de type crowdfunding est aussi un mouvement qui s’observe aux USA avec la promulgation du JOBS Act (Jump Our Business Startup) et que d’autres pays ont en préparation (différentes initiatives au niveau de la Commission Européenne, de l’European Crowdfunding Network ou d’Eurada sont aussi en cours).

Cela permet d’ouvrir au financement des catégories d’entreprises, des entreprises dans des phases amont de développement ou des projets situés hors critères habituels de financement au moment où les acteurs bancaires et financiers connaissent des évolutions structurelles (Bales III, Solvency II) susceptibles de remettre en cause leurs capacités traditionnelles de financement de l’économie et de la société.