Le modele d’adoption de Square dans les paiements electroniques

Le futur du paiement est déjà écrit : il réside dans dématérialisation des paiements; sans espèce, sans chèque et sans carte. Comme l’illustre la publicité télévisée de Boursorama Banque où le client utilise son compte bancaire directement pour payer visuellement chez le boulanger.

Ce futur est encore relativement lointain car notamment :

  • L’usage du paiement électronique par smartphone est encore peu développé dans les pays développés. Ce que sait faire un africain analphabète, qui a découvert la banque avec le mobile avec un service de paiement sur mobile comme M-Pesa au Kenya, un européen, largement doté en moyens de paiement et n’éprouvant aucun nouveau besoin, ne sait pas le faire.
  • Les fonctions de paiement direct n’existent pas nativement dans les comptes bancaires et nécessitent de recourir à des services tiers (tels que Paypal ou Kwixo qui peuvent être rattachés directement à un compte bancaire). Il est ainsi impossible d’envoyer un paiement à une personne identifiée par son nom (ou un numéro de mobile ou une adresse email) par une opération électronique à partir de son compte bancaire comme le permet le chèque ou bien d’obtenir un acquittement nominatif d’un paiement, comme le permet une carte bancaire.
  • La carte bancaire a acquis une position dominante difficile à remettre en cause. Son potentiel de croissance est encore important (Visa Europe en 2011 a vu ses transactions augmenter de 13,6% à 1.690 Milliards et son Chiffre d’affaires de 12,8%). Elle développe de nouveaux scénarios d’utilisation coté client (NFC, e-carte bancaire, portefeuille « wallet », paiement de personne à personne,…) et elle a atteint un haut niveau d’industrialisation avec des grosses usines à faibles marges sur de gros volumes.

Le business model du paiement est néanmoins en train de se transformer.

La transaction de paiement en elle-même ne représente plus le principal potentiel de marge. La « commodisation » des paiements carte a commencé notamment à travers la pression règlementaire sur la baisse des taux applicables aux paiements par carte, que ce soit aux USA (Amendement Durbin) ou en Europe (baisse de la commission interbancaire de paiement en France ousuppression des interchanges avec SEPA).

Malgré cette “commodisation” l’industrie est loin d’être en péril. Ses acteurs génèrent des milliards de chiffre d’affaires et pèsent des dizaines de milliards de capitalisation. Cette vision est plutôt celle d’un VC qui regarde le potentiel de croissance des nouveaux acteurs et les multiples de capitalisation qu’ils peuvent atteindre.

Face à cette commodisation du paiement, les potentiels de marge se situent maintenant dans :

  • L’acquisition des clients en paiement électronique
  • Les fonctionnalités marketing liées aux paiements pour les commerçants.

 

L’acquisition des clients en paiement électronique

Le paiement électronique (via un service électronique sur mobile ou internet) bénéficie d’un potentiel :

  • D’augmentation de la valeur de la transaction pour le client ou le commerçant susceptible d’être répercutée en augmentation de prix directe ou indirecte :
    • Nouvelles fonctionnalités clients (choix du moyen de paiement en fonction du contexte, traçabilité, comparaison, recommandation, interaction en magasin,…)
    • Présence sur de nouveaux devices en contexte (mobile, tablette)
    • Sans compter de nouveaux scénarios de paiement substitutifs (paiement de personne à personne) – mais qui ne présentent pas forcement de possibilité de facturation par rapport à la gratuité actuelle –.
  • De réduction du coût de la transaction :
    • En prélèvement ou versement direct sur le compte bancaire (le coût d’un virement de détail est très faible de l’ordre de 1 cent €)
    • Si la transaction se fait au dessus d’une carte de paiement, l’addition des taux rends très difficile l’atteinte d’un niveau de profitabilité.

Le problème du paiement électronique réside dans la difficulté d’acquisition des clients comme vu précédemment. Cette acquisition est d’autant plus difficile sur la base native du compte bancaire (par fourniture d’un RIB). C’est pourquoi la quasi-totalité des services de paiement électronique, à commencer par Paypal, basent leur acquisition sur la carte de paiement (plus facile à communiquer pour le client), charge ensuite de transformer le lien carte en lien compte bancaire. Dans un environnement bancarisé comme le notre, la carte bancaire restera longtemps encore un « objet ou une étape transitionnel » obligatoire pour accéder au paiement électronique. Un service qui réalise l’acquisition d’une base de clients en paiement électronique génère donc de la valeur indépendamment du service qu’il rend par ailleurs.

Le problème de l’acquisition se retrouve aussi coté commerçant pour couvrir les scénarios de paiement électronique en magasin ou sur un site eCommerce (le commerçant doit être équipé pour processer un paiement électronique).

 

Les fonctionnalités marketing liées aux paiements pour les commerçants

Les données de la transaction de paiement possèdent une valeur intrinsèque indépendamment du paiement car elles permettent un suivi systématique et fin des clients et des événements d’achat.

Des investissements importants sont réalisés par les commerçants pour identifier les clients, les qualifier et adapter l’offre qui leur est faite pour favoriser leur fidélisation, leur réachat et leur montée en valeur. Ces investissements s’effectuent dans des ordres de grandeur bien supérieurs aux commissions de paiement car ils sont générateurs d’une augmentation des revenus (ou à tout le moins d’une non érosion dans un monde très concurrentiel).

Ces dispositifs marketing sont aujourd’hui pour une grande part indépendant des paiements. Ils sont basés sur des cartes de fidélité personnelles, d’accumulation d’achats ou de point, des coupons ou des promotions distribuées par différents canaux, etc… Leur efficacité est bridée par leur niveau d’adoption. Peu de marques à l’exemple d’Yves Rocher ont réussi à développer le reflexe systématique pour le client de se présenter en caisse avec sa carte de fidélité.

Le rattachement du marketing à l’acte de paiement permet de systématiser les dispositifs marketing à l’ensemble des clients sans solliciter leur initiative active.

L’avantage dans ce cas de bénéficier d’un dispositif électronique communiquant est de développer un marketing “push” en pre-paiement de l’acte d’achat.

Une solution alternative est de baser ce marketing en post paiement sur la gestion des débits ou des relevés cartes :

  • Dans le premier cas, il s’agit de cash-back rattaché à une carte, par exemple Futureo en France qui alimente une assurance-vie avec les montants récupérés ou Barclaycard Freedom en Angleterre (8 millions de porteurs et plus de 30.000 partenaires commerçants). Le système peut être très flexible en superposant cash back générique (sur les montants voire avec des seuils), promotion personnalisée affichable en magasin, systèmes de règles (montant, récence, fréquence ou autre) avec des montants utilisables immédiatement ou accumulables.
  • Dans le second cas, le système est basée sur les relevés de transactions bancaires, soit directement intégré dans la banque, comme le fait par exemple Cardlytics ou dans un gestionnaire de finance personnelle (Personal Finance Management) comme par exempleLinxo en France (qui peut être lui-même intégré dans une interface bancaire). Voir ce très bon article de synthèse “MasterCard entre dans la danse des promotions ciblées” du très bon blog cestpasmonidée sur le sujet.

Là encore l’adoption est le point critique :

  • Adoption par les commerçant d’un système de marketing lié au paiement implicant un renouvellement ou une superposition des systèmes de paiements
  • Adoption du système support du marketing de paiement par les clients (carte avec programme de cash-back ou PFM).

Ce type de solution n’est efficace que pour des distributeurs liés à un point de paiement, autrement dit des enseignes. Pour développer un marketing de ce type, les vendeurs de produits doivent nécessairement se raccrocher au ticket de caisse qui détaille chaque produit (comme cela est le cas dans les caisses d’hypermarché qui éditent des coupons ou génèrent des points de fidélité selon les achats effectués).

 

Le modèle d’adoption de Square

Dans ce contexte, Square apporte un modèle d’adoption original et très efficace.

Square est un service de paiement qui permet de réaliser un encaissement par carte bancaire sur un terminal non dédié, smartphone iPhone ou Android, iPod Touch ou tablette iPad, grâce à un dispositif enfichable simple de lecture de la piste magnétique de la carte bancaire distribué gratuitement et une application téléchargeable par tout un chacun.

Square a connu un démarrage fulgurant aux USA et a conquis en deux ans 1 millions de marchandset 2 millions 6 mois plus tard (sur un total de 8 millions de marchands aux USA pour un marché potentiel des “petits marchands” évalué à 28 millions).  Le volume de transactions annuelles  générées est de 6 Milliards $  en croissance forte. En plus de sa présence en ligne, Square est maintenant distribué dans plus de 20.000 magasins aux USA et inclus dans l’offre pro de l’opérateur telecom T-mobile. La startup a levé 100M$ et finalise une nouvelle levée de 250 M$pour se développer à l’international avec une valorisation entre 2,5 Md$ et 4 Md$. Square représente l’illustration du “Financial Breakthrough” (percée en finance) c’est-à-dire d’une activité qui a le potentiel à 5 ans à modifier le paysage actuel comme l’a déjà par exemple réalisé Paypal. Un autre indicateur clé de succès est le développement de la concurrence : PaypalIntuit Gopayment,revcoin,i-zettle (qui vient de lever 25M€), Cellfonympowa,  , voire des systèmes hybrides commeEmerit (similaire aux expérimentations menées en France dans le cadre du programmeADS+).

Cet article fait suite à un premier article publié dans la Revue Banque et un second sur le blog de Finthru décrivant plus en détail le modèle de Square.

 

Le modèle d’acquisition de Square est basé sur l’acceptation de la carte bancaire via un dispositif enfichable dans un smartphone ou une tablette, largement et facilement distribuable de manière indifférenciée avec le téléchargement d’une application et une inscription en ligne.

Square vise avant tout le segment des petits commerçants ou commerçants occasionnels non équipés qui inclut notamment le sous-segment des professionnels en mobilité (plombier, baby-sitter, vente à la production, vide-grenier, traiteur chinois, vente ambulante,…). Ces commerçants ne sont pas couverts par les offres traditionnelles bancaires car ils ne satisfont pas les contraintes fixées (immatriculation,…), n’atteignent pas le minimum de volume d’activité ou ne veulent pas accepter la tarification.

Square dispose aussi de deux autres produits en plus du paiement :

  • Register : une application de caisse visuelle à laquelle sont rattachées des fonctions de marketing (statistiques clients, carte de fidélité, promotions et coupons)
  • Pay with Square : une application client de paiement electronique permettant de réaliser des paiements en magasin sans sortir sa carte (avec Square Register) et en outre de consulter son historique d’achat et de localiser des magasins acceptant le dispositif.

Le cycle d’adoption se déroule alors comme suit :

  • Les petits commerçants et assimilés non équipés adoptent Square paiement pour pouvoir accepter des paiements cartes de la part de leur client
  • Les clients réalisant un paiement peuvent obtenir un ticket envoyé sur le mobile du client
  • Les clients ayant réalisé un paiement sont incités par Square à adopter l’application Pay With Square
  • Les clients dotés de l’application Pay With Square incitent les commerçants à l’utiliser
  • Les commerçants utilisant Square paiement sont incités à utiliser Register pour gérer facilement leur caisse et disposer de fonctions marketing (carte de fidélité,…)
  • Les commerçants utilisant Register incitent leurs clients à utiliser Pay With Square afin qu’ils reçoivent les notifications marketing push de leur commerçant.

 

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Ce cycle d’adoption est d’autant plus intéressant qu’il permet aussi un élargissement au-delà du segment initial ciblé :

  • Les petits commerçants, déjà équipés d’une solution de paiement mais dépourvus de fonction marketing, peuvent se doter de ces fonctions avec Register. Leur adoption est facilité par la notoriété crée sur le segment des petits commerçants et assimilés non équipés et la facilité de tester la solution à un coût très faible.
  • Les grands commerçants, déjà équipés en solution de paiement et de marketing sont intéressés par les capacités de marketing push et le déploiement de Pay With Square auprès des clients finaux. Square s’intègre alors comme une solution supplémentaire de paiement électronique parmi les moyens de paiements et de marketing qu’ils gèrent déjà. Le premier partenariat de ce type a été conclu avec Starbuck aux USA.

Un autre segment qui n’existe pas aujourd’hui mais qui va être amené à se développer est celui des nouveaux scénarios de vente avec des vendeurs en magasin disposant d’un smartphone ou d’une tablette permettant de conseiller, prendre commande voire payer comme cela existe déjà dans les magasins Apple Store.

Là encore Square dispose d’un atout car il supporte nativement les smartphones et tablettes. L’intégration dans l’écosystème du magasin (interaction avec la caisse, d’autres moyens de paiement ou système marketing ainsi que de futures applications de conseil et de prise de commande client) reste néanmoins à définir et expérimenter.

Square montre une formidable traction aux USA et il a généré un grand nombre de concurrents. Le cycle d’adoption des paiements électroniques semble être initié pour les pays développés…et cela se fait par le bas comme au Kenya.

One thought on “Le modele d’adoption de Square dans les paiements electroniques

  1. Nul doute que nous sommes devenus de plus en plus dependants de nos appareils qui nous permettent de mediatiser et d’operer toutes sortes de transactions financieres ou autres sans meme nous deplacer.

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