Modèle d’intermédiation

Notre économie repose de plus en plus sur un modèle d’intermédiation qui fait appel et combine de plus en plus d’acteurs dans la chaîne de valeur. Même les industries historiquement les plus intégrées comme la banque, les télécoms ou l’énergie participent de ce mouvement.

La banque et les télécoms représentent (on peut déjà dire ont représenté pour les télécoms) le modèle intégré par excellence avec un contrôle sur l’ensemble de la chaîne de valeur de la conception à la distribution. Dans une banque, le réseau de distribution vend ainsi ce qui a été conçu par le marketing de la banque et produit dans ses différentes « usines » de back-office. De même chez un opérateur télécom traditionnel, on passe un appel à partir de l’opérateur pour aller chez un autre abonné toujours chez l’opérateur en s’appuyant sur l’infrastructure et les services (rappel, conférence téléphonique, répondeur,…) procurés par cet opérateur.

Quelles sont les évolutions qui remettent en cause ce modèle intégré ?

  • D’abord, la multiplication des produits et services et la complexifications de leurs combinaisons :
    • Les produits et services présentent plusieurs niveaux : les services de base ne sont plus commercialisés tels quels mais sont intégrés dans des « packages » souvent qualifiés de « solutions »
    • Les produits et services sont mis à disposition à travers une « couche de service » dont l’objet est de procurer une interface de consommation du service adapté à certain client ou mode de consommation (configuration, recommandation, self-service, suivi de consommation, fidélisation,…)
  • Ensuite, la complexification des comportements et modes de consommation des clients :
    • De nouveaux canaux de distribution et/ou de consommation se multiplient, à la fois techniques (web et mobile) mais aussi commerciaux (courtiers, services spécialisés par exemple de « conciergerie », réseaux sociaux (les réseaux sociaux sont des canaux de distribution comme je ne cesse de le dire),…).
    • De nouvelles perceptions des besoins par les consommateur conduisent à définir les produits et services de manière plus abstraite (par exemple, « être informé en continu » plutôt que « disposer d’une connexion internet ou d’un lecteur de flux RSS »).

Cette évolution de la perception des besoins passe souvent par une réflexion sur les usages et cette réflexion sur les usages passe, elle-même, souvent par un dialogue ouvert avec une communauté d’utilisateurs.

Quelles en sont les implications ?

  • D’abord, on ne peut plus tout faire soi-même,
  • Ensuite on ne peut plus tout vendre soi-même.

On ne peut plus tout faire soi-même :

  • Il y a trop de produits et services potentiels à développer et on ne sait pas lesquels seront des succès sur le marché.
  • Dans cette situation, autant laisser au plus grand nombre d’acteurs la possibilité d’inventer les produits et services qui couvriront au mieux les besoins du marché.
  • Les meilleurs produits seront sélectionnés par « l’intelligence collective » du marché et la « long tail » en rentabilisera un nombre plus important.
  • Pour en tirer parti, il est nécessaire de mettre à disposition certains de ses actifs (produits, services, process, ressources,…) afin de faire en sorte que ceux-ci soient intégrés dans les produits et services crées par d’autres et rémunérés en conséquence en cas de succès.

On ne peut plus tout vendre soi-même :

  • Les canaux de distribution en propre deviennent insuffisants pour couvrir l’ensemble des segments clients et des différents situations d’usage.
  • Pour compenser cela, il faut permettre à d’autre de revendre ses propres produits ou services ou de les intégrer / combiner avec d’autres offres. Un exemple typique est de revendre des produits et services dans un canal réseau social de type Facebook, version moderne de la réunion Tupperware.

Nous passons ainsi d’un modèle intégré à un modèle intermedié.

Il est possible de posséder des usines à produits et services et des canaux de distribution mais il est de moins en moins possible d’avoir une parfaite adéquation entre les deux. Ses propres produits et services peuvent être mieux valorisés par d’autres et parfois il vaut mieux vendre des produits et services réalisés par d’autres.

L’immobilier aux USA repose sur ce modèle où l’agent qui apporte l’acheteur et celui qui apporte le vendeur peuvent être différents et se partagent la commission. Dans ce modèle, tous les agents ont intérêt à partager l’information. Il existe donc une base nationale ouverte à tous les agents. Les volumes traités sont beaucoup plus importants et les montants des commissions inférieurs. Le système est globalement beaucoup plus efficace et la confiance dans les acteurs du marché supérieures (en comparaison de la France où ce type de système n’est qu’émergent).

Transposons ce modèle au marché bancaire :

  • Dans une opération de prêt, le préteur et l’emprunteur pourraient être amenés par deux banques différentes :
    • L’emprunteur serait amené par le réseau de distribution en contact avec les clients.
    • Le prêteur serait apporté par un back-office d’une autre banque qui fournirait le prêt le plus adapté aux besoins de l’emprunteur à la date donnée (c’est le modèle du courtier).
    • Mais ce pourrait aussi être un modèle d’intermédiation de particulier à particulier (comme le font Prosper ou Zopa évoqués dans un billet précédent) où le prêteur est un investisseur amené par un réseau bancaire fournissant de nouveaux instruments « sociaux » de placement à ses clients et l’emprunteur est amené soit par un autre réseau bancaire soit par un site web de prêt de particulier à particulier.

Cette logique de « modèle d’intermédiation » est aussi illustrée avec le rachat de meilleurtaux. com par la Caisse d’Epargne :

  • Le courtage de prêt constitue un service attendu par les clients, qu’ils iraient chercher en tout état de cause si leur banque ne leur procure pas.
  • Autant donc que leur banque leur fournisse et encaisse la commission correspondante.
  • Après que cela ne soit pas le back-office de la banque qui leur fournisse le prêt est une autre affaire qui dépend de la performance des produits offerts et non de la performance du réseau de distribution.
  • Apport complémentaire, l’activité de courtage permet d’aller chercher des clients qui ne sont pas clients du réseau de distribution de la banque.

L’architecture intermédiée est aussi en œuvre dans les télécoms avec les MVNO qui exploitent à différents niveaux les actifs des opérateurs pour offrir des services packagés avec des avantages complémentaires adaptés par rapport à certains segment (NRJ, Vivendi sur les jeunes, Breizh Mobile sur la Bretagne où la pénétration est inférieure à la moyenne nationale,….).

L’ouverture du marché de l’énergie s’est aussi inscrite dans cette perspective avec de multiples opérateurs qui construisent des offres combinant leurs propres services (le service client pour Poweo) et des services procurés par d’autres (l’électricité d’EDF ou d’Electrabel et les services du réseau de distribution d’électricité d’ERD – filiale d’EDF).

Jusqu’à présent nous n’avons pas parlé de technique. La mise en place d’un modèle intermédié est avant tout une histoire de business. Mais, on peut se dire que tous ces services évoqués seraient facilement mis à disposition et composés s’ils étaient présentés sous forme de Web Service sur internet. Mais c’est une autre histoire…