Entreprise 2.0 : les référentiels sortent de l’entreprise

J’ai donné un cours en Magistère de Gestion à Dauphine sur le thème de la Communication et Collaboration en Entreprise. J’en ai profité pour prendre le pouls des usages des étudiants dans le domaine :

  • Le mail n’est pas mort, même chez les Digital Natives puisque tous ont un webmail (Hotmail ou Gmail) et l’utilisent couramment.
  • Facebook est (bien sur) omniprésent.
  • Messenger semble sur le retour de sa position dominante. La messagerie instantanée de Facebook s’y substitue.
  • Par contre l’utilisation du mail interne à Facebook est faible.

Ce que j’en conclus, c’est que la messagerie instantanée est un usage lié fondamentalement à son réseau social et à ses contacts et, comme Facebook est le référentiel des contacts, sa messagerie instantanée en est un service naturel.

Par contre cette proximité ne joue pas pour le mail interne de Facebook :

  • Le mail de Facebook n’est pas publiquement adressable. Cela est utile dans un rôle de filtrage mais nécessite de maintenir un webmail à coté. Une évolution majeure du mail est justement d’intégrer ce rôle de filtrage et plusieurs startups y travaillent (j’en reparlerai dans un prochain billet).
  • Cet absence d’ouverture, le rend inutilisable pour s’abonner aux croissantes notifications, alertes, messages de retour (calendrier, inscription,…) ou d’information (notamment commerciale). Il ne relaie pas non plus les Messages Directs de Twitter.
  • Il n’est donc pas étonnant que Facebook travaille sur le lancement d’un webmail et celui-ci couplé à sa base de contacts Facebook pourrait être disrupteur en étendant le rôle de filtrage de Facebook à l’ensemble de ses flux mail.
  • Skype a été cité mais il n’apparait pas « mainstream ».
  • Twitter n’a pas été cité. J’ai posé la question. Le service est connu mais son adoption dans le sens d’usage courant semble faible. Twitter reste encore « early adopter » (mais comme le fut Facebook à un moment).
  • Aucune utilisation, voire même connaissance, des services collaboratifs du type Google Docs, Google Calendar,… On se trouve ici plutôt dans des usages professionnels ou de groupes constitués.

Les entreprises (comprenez Grandes Entreprises) n’utilisent pas ces outils « grand public » qui viennent d’être cités. Elles utilisent des outils professionnels spécifiques tels que (la liste est loin d’être exhaustive) :

  • Outlook ou Notes pour la messagerie,
  • Communicator ou Sametime pour la messagerie instantanée,
  • Sharepoint (Microsoft), Quickr/Connection/FileNet (IBM) ou Oracle Collaboration Suite pour le Portail/Partage & Collaboration/Réseau Social (la liste est longue)
  • Communicator (Cisco Unified Personal Communicator), Communicator (Microsoft Office Communicator), Sametime (IBM Lotus Sametime) pour l’intégration de la téléphonie sur PC et la communication unifiée.

La communication et la collaboration sont pourtant le domaine par excellence du principe de « self-service » : les outils sont proposés mais ce sont les utilisateurs qui font le choix de les utiliser (ou pas) et surtout ce sont eux qui doivent expérimenter les usages qui vont avec et trouver ceux qui vont procurer de l’utilité et déclencher leur adoption.

Le mail est le meilleur exemple de cette dynamique d’adoption.

L’iPhone a aussi montré toute la puissance de l’adoption par les utilisateurs en balayant les mobiles les plus orientés entreprise. Difficile d’opposer à un dirigeant d’entreprise des aspects de sécurité, de gestion de parc ou de contrôle des données. « L’intendance suivra » comme le disait le général De Gaulle. Cela fait d’ailleurs la fortune des éditeurs d’outils tiers (Apple ne s’intéresse pas aux entreprises). Encore plus illustratif est l’utilisation de l’iPhone par les soldats américains en opération en Iraq. Il leur est beaucoup plus facile d’utiliser des applications qui ressemblent à ce qu’ils ont l’habitude d’utiliser sur un terminal qu’ils ont déja dans la poche plutôt que des applications, certes conformes aux standards militaires mais d’une prise en main plus laborieuse. Dans la même veine ubiquitaire, il existe une balance iPhone, un micro-drone piloté par iPhone et je rêverais d’une application iPhone pour piloter les thermostats de mon appartement (conçus par des ingénieurs pour des ingénieurs). Et cela ne fait que commencer.

Les applications d’entreprise cherchent à intégrer les nouveaux usages « grand public » afin de bénéficier de leur dynamique d’adoption. L’introduction de la messagerie instantanée et la « facebookisation » des applications collaboratives l’illustrent.

Mais pourquoi les outils grand public et d’entreprise se doivent-il d’être différents ?

La réponse à cette question repose avant tout sur les référentiels des données qui sont derrière. A commencer par le premier : l’annuaire. La base d’une application de communication et de collaboration en entreprise est l’annuaire.

Celui-ci permet ensuite de gérer des « Groupes privés managés d’utilisateur et de contenus » :

  • Autoriser / interdire l’accès à ce groupe et ses contenus : typiquement donner accès direct et permettre de rechercher l’ensemble des membres de l’entreprise ou mettre à jour les nouveaux arrivants et les partants
  • Gérer des droits de manière centralisé en s’appuyant sur des structures hiérarchiques ou géographiques qui seront ensuite exploités pour donner accès à des applications et des données
  • Organiser et gérer des groupes de partage à grande échelle
  • Partager une même base d’utilisateurs et créer des liens entre des applications dans la grande hétérogénéité des parcs applicatifs
  • Gérer les contenus rattachés aux utilisateurs (sécurité, conformité légale, archivage).

Toutes choses beaucoup plus difficilement appréhendables par les applications « grand public ».

Cela conduit à des logiques de coexistence plutôt que de substitution entre applications « d’entreprise » et « grand public » (pour les entreprises). On pourrait aussi dire applications « traditionnelles » ou « locales » et applications « Software as a Service ».

Dans un domaine qui présente une certaine proximité, la relation client, la Société Générale doit être à la fois le 1er client en France de Siebel (CRM traditionnel) et de Salesforce (CRM en « Software as a Service). Cela vous étonne ? C’est qu’il s’agit de besoins différents. De la même manière les usages de Google Applications (Applications bureautiques en ligne) ne sont pas du tout les mêmes que ceux de Microsoft Office (Applications bureautiques locales). Personnellement j’utilise les deux. D’ailleurs je suis très content des ponts qui ont été développés entre les deux. Microsoft va même généraliser une couche complémentaire en ligne de ses applications dans leur prochaine version (Office Web Apps).

La vision que j’en ai c’est que ce ne sont pas des considérations de coûts qui vont motiver les entreprises à aller vers des systèmes grand public. Ce sont les référentiels de données qui vont quitter les entreprises. Un ami à qui la Direction des Ressources Humaines demandait de mettre son CV à jour dans la base RH répondit que son CV était déjà à jour : il était sur Linkedin.

Il en est de même de ses contacts. Aujourd’hui les outils d’entreprise tels que la messagerie ou le CRM n’offre des fonctionnalités de gestion de ses contacts que très en retrait par rapport à Linkedin, Facebook ou Plaxo. Ils ne gèrent pas du tout des notions de délégation ou d’agrégation qui se développent notamment avec Twitter (OAuth) ou Facebook Connect.

La gestion du calendrier, la gestion des tâches, les présentations (Slideshare) pourraient suivre et à la suite d’autres processus ou référentiels d’entreprise (les recrutements, les achats, le suivi du cycle de vie, voire le marketing ou le service client).

Derrière cela, il y a une vraie logique de diffusion et de partage de l’information et de mutualisation d’actif. Une logique similaire à celle de l’Open Source. Si l’information a déjà été produite quelque part et si elle n’est pas directement sensible et critique par rapport au cœur de l’activité de l’entreprise (on va dire 1% de l’information), sa mutualisation est très bénéfique au sein d’un écosystème.

C’est aussi là où on s’aperçoit que gérer les données, c’est un métier à part entière et c’est un métier qui est différent de fournir des application en « Software as a Service ». Le fait de pouvoir géolocaliser ses données et les restreindre à une zone comme l’ont introduit Amazon ou Microsoft Azure indique bien la direction à suivre mais aussi le chemin qui reste à parcourir.