Ce billet fait suite au précédent sur les différents modèles du Prêt entre Particuliers.
Celui-ci détaille les différents éléments du contexte réglementaire en France à prendre en compte pour les opérations d’un service de prêt entre particuliers ouvert sur internet. Ce n’est cependant pas le seul modèle possible de prêt entre particuliers (voir le billet précèdent pour la description des autres modèles) mais c’est le plus représenté (avec des acteurs comme Zopa, Prosper, Lending Club, Smava,…).
Si vous interrogez un avocat sur la légalité du prêt entre particuliers, il évoquera en règle générale le monopole bancaire du crédit comme obstacle légal à la mise en place d’un service de ce type.
C’est une réponse mais, on l’oublie souvent, le prêt entre particuliers ne s’arrête pas à une opération de crédit mais est constitué aussi des opérations :
- de collecte de fonds,
- de conservation des fonds reçus
- de gestion des flux de redistribution des revenus des prêts
- sans compter toutes les opérations accessoires liées à ces opérations principales (notamment les contrôles).
Ces différentes opérations ne sont réunies entre elles qu’a travers l’activité de prêt entre particuliers mais comme la réglementation n’identifie et ne régule pas explicitement celle-ci (c’est normal, c’est nouveau), ces différentes opérations sont régies, de manière séparée, par les différentes réglementations qui s’appliquent à chacune d’elles.
Quelles sont donc les obligations à satisfaire pour pouvoir réaliser ces opérations ?
Le prêt entre particuliers est une activité à deux faces. Il y a donc des obligations coté emprunteur et coté prêteur distinctes.
Coté emprunteur, le principal point est la capacité à accorder des prêts.
Le Code Monétaire et Financier réserve le monopole de l’attribution de prêts aux seules banques en contrepartie des obligations attachées à leur statut.
- (Article L511-5) »Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel »
- (Article L311-1) : « Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement ».
Est-il possible de se soustraire à cette nécessité ? Non : dans tous les pays du monde, les services de Prêt entre particuliers possèdent des licences de banque ou s’appuient sur des partenaires bancaires en possédant une. Y compris dans les pays les plus « déréglementés » ou censés être les plus déréglementés comme les USA. La tendance étant d’ailleurs, vous l’aurez remarqué, plus au renforcement de la réglementation qu’à son assouplissement.
Il faut néanmoins noter que la séparation entre les opérations de crédit proprement dites et les opérations en relation avec les clients existe depuis longtemps. Il est évident, par exemple, qu’un concessionnaire de voitures ne possède pas de licence de banque quand il vous propose un crédit pour l’acquisition de votre véhicule. L’adossement à des acteurs bancaires est d’ailleurs une tendance du secteur du prêt entre particuliers (Lending Club et Prosper, les deux leaders, sont tous deux partenaires avec la WebBank).
Mais, il existe des cas dans lesquels la réglementation bancaire ne s’applique pas.
Le premier est le prêt sans taux d’intérêt.
Pour qu’il y ait prêt au sens réglementaire, il faut qu’il y ait intérêt. Un prêt sans intérêt est, au sens réglementaire, une avance remboursable qui n’est, elle, pas soumise à la réglementation bancaire. Cela permet le développement en France des services de prêt à destination des pays en voie de développement comme Babyloan ou Veecus à l’image de Kiva aux USA.
Les prêts sont ici réalisés dans une logique de solidarité et les prêteurs ne touchent pas d’intérêt. Le modèle est asymétrique : les prêteurs ne sont pas rémunérés (par contre leur capital est garanti chez Babyloan) mais les emprunteurs payent un taux d’intérêt. Les prêts sont distribués par des institutions de micro-finance (IMF) en contact avec les projets sur le terrain qui sélectionnent les projets et collectent les échéances des prêts payées par les emprunteurs. Le taux d’intérêt versé par les emprunteurs sert à financer l’activité des IMF sur le terrain et le service de collecte en France.
Le modèle n’est pas réellement direct entre particuliers car il se pose un problème d’écoulement des financements avec l’éloignement des emprunteurs. Les emprunteurs choisissent des projets mais en fait ces projets ont généralement déjà été sélectionnés et financés par les IMF. Les prêteurs abondent plutôt les IMF portant les projets qu’ils sélectionnent et servent à financer les futurs projets que l’IMF sélectionnera (mais qui ont toutes les chances d’être dans la même « stratégie d’investissement » que le prêteur a effectuée).
Le second est, dans la grande tradition française, l’exception réglementaire.
Le Code Monétaire et Financier indique (Article L511-6) : « l’interdiction relative aux opérations de crédit ne s’applique pas :”….”aux associations sans but lucratif qui octroient des prêts pour la création et le développement d’entreprises, par des chômeurs ou des titulaires de minima sociaux, sur ressources propres et sur emprunts contractés auprès d’établissements de crédit ou des institutions ou services mentionnés à l’article L. 518-1 du Code Monétaire et Financier, habilitées et contrôlées dans des conditions définies par le décret en Conseil d’État n° 2007-334 du 12 mars 2007 et codifiés aux articles R. 518-57 à R. 518-69 du Code Monétaire et Financier.”. Au cas où ce ne serait pas assez précis, le Secrétariat général du CECEI (Comité des Etablissements de Crédit et des Entreprises d’Investissement) a produit une note explicative (lettre du secrétaire général du Comité des établissements de crédit, en date du 3 juin 1994, au président de l’Association française des établissements de crédit). Concrètement cette disposition concerne l’ADIE (Association pour le Développement de l’Initiative Economique) qui peut accorder des prêts avec taux d’intérêt pour des projets de réinsertion sociale.
Ce qu’il faut noter, c’est que la contrepartie de ce « privilège » est assortie d’une interdiction de faire appel public à l’épargne et, en conséquence, d’une dépendance des banques pour son financement (les banques exploitent d’ailleurs largement cet « engagement » dans leur marketing institutionnel). L’ADIE milite donc pour une modification de la loi afin de pouvoir collecter des fonds auprès des particuliers. Ce qui lui permettrait de faire, sur le segment que la réglementation lui attribue, du prêt entre particuliers.
Un deuxième partie réglementaire conséquente concerne les obligations de protection du consommateur dans les opérations financières, contenues notamment dans la loi Scrivener et constamment renforcées ou modifiées au fil du temps (dernier exemple en date par la future loi en cours de discussion très orientée sur le crédit revolving) et qui concernent notamment :
- Des obligations d’information
- Des possibilités de rétractation
- Des prescriptions en terme de processus dans la relation avec le consommateur.
Dans ce cadre, une mention doit être faite des obligations accrues de contrôle du surendettement. C’est un sujet sur lequel les textes s’épanchent constamment mais les obligations de contrôle correspondantes se font :
- Sur base déclarative
- Par prescription comportementale pour les acteurs du financement.
C’est une autre manière de dire que ce n’est pas un vrai sujet (autre que politique et marketing) car aucun dispositif de contrôle « réel » n’est mis en place. L’hypocrisie apparente de la situation masque en fait le lobbying (très bien relayé) des banques en place pour éviter la mise en place d’un fichier centralisé des crédits (aussi appelé fichier de crédit positif) qui faciliterait l’entrée de nouveaux concurrents sur le marché français (comprendre notamment : de nouveaux concurrents non dotés d’un patrimoine d’historiques de crédit leur permettant d’évaluer le risque de leurs clients comme les banques en place).
Une autre obligation est celle de respecter le plafonnement des taux d’intérêt publiés par la Banque de France. II est utile de préciser qu’il existe plusieurs taux en fonction du type de prêt et que le taux maximum de 20%, si souvent cité, n’est applicable que pour les prêts dit « à tempérament » (prêt revolving ou rechargeable). Si vous faites un prêt conventionnel, jamais vous n’aurez un taux si élevé. Ceux-ci sont calculés sur la base d’un Taux Effectif Global (TEG) qui est un taux conventionnel dont la formule de calcul est définie dans la réglementation.
C’est en fait la combinaison à la fois de l’absence de fichier positif (qui renchérit le risque pour les nouveaux entrants) et du plafonnement des taux (qui empêche les nouveaux entrants de répercuter ce risque sur leurs clients au delà d’un certain seuil) qui crée une véritable barrière à l’entrée pour les nouveaux entrants.
Coté prêteur, le point principal est la capacité de collecter des fonds de particuliers (le souvent cité « appel public à l’épargne » – qui n’est pas tout à fait la même chose dans la réglementation). La réglementation réserve à certains acteurs qui font l’objet d’un agrément et subissent des contraintes particulières la possibilité de collecter des fonds pour les investir (ou pas) sur des produits d’investissement collectif (comme par exemple des SICAV ou des actions).
La réglementation dite MIF (Marché des Instruments Financiers mais cela concerne aussi la protection des investisseurs individuels) introduit pour les acteurs financiers des obligations :
- D’information et de conseil
- D’explicitation des risques et de préconisation d’adaptation de ses investissements en fonction du profil de l’investisseur (c’est-à-dire de sa connaissance, de sa technicité et de son expérience des produits financiers).
Les objectifs principaux sont :
- de protéger l’épargnant contre tout risque de confusion sur le type de placement et de risque qu’il souscrit,
- de réserver les placements risqués aux investisseurs avertis,
- de limiter la proportion des investissements risqués en proportion du patrimoine total exposé.
On voit bien tout l’intérêt de cette réglementation face à la crise financière qui est survenue mais aussi son inefficacité car elle n’a pas empêché des produits traditionnels de se retrouver exposés à des risques inconsidérés via des participations dans des instruments complexes, ni un titre comme Natixis, vendu comme un placement de « père de famille », de présenter un profil de risque très éloigné de ce qui était attendu (perte de -40%).
La communication financière n’est guère imprégnée non plus de cet esprit et recourt aux mêmes techniques marketings employées dans d’autres secteurs. Lors de la généralisation du Livret A à toutes la banques, on a ainsi eu de la publicité pour des Livrets A à 6%. On trouve aujourd’hui des publicités pour des comptes sur livrets à 4% ou des assurances vies à 5% garanti. Ce sont les mêmes ressorts marketing que ceux qui proposent un abonnement Canal+ à 10€/mois ou un abonnement internet Orange à 29,90€/mois. Un avocat d’une banque m’a confié qu’il y avait beaucoup plus de condamnations dans le domaine bancaire que dans d’autres (certes mais on n’en n’entend que peu parler).
L’étape suivante est de pouvoir collecter et conserver les fonds. Il peut arriver que les fonds ne soient pas immédiatement utilisés ou que le financement d’un projet ne se mette pas en place si le projet n’est pas financé en totalité. Ces montants collectés doivent être isolés des opérations financières de la société qui réalise l’activité de plateforme de prêt entre particuliers. En effet, si la plateforme cesse son activité, ces fonds doivent être restitués aux prêteurs. Ils ne font pas partie des comptes de la société à l’inverse des paiements fait par les clients d’une société de e-commerce. Cela revient à gérer des « comptes courants » individuels…comme le fait n’importe quelle banque ! Dans la pratique, cet aspect de la réglementation n’est pas aussi contraignant qu’il peut apparaître :
- D’abord parce l’évolution de la réglementation va vers une « dé-bancarisation » et une « dé-monopolisation » de la gestion des transactions financières et notamment avec la séparation du compte bancaire et des services liés à ce compte bancaire qui peuvent être exercé par un opérateur tiers. Ces possibilités découlent notamment de la Directive européenne sur les Services de Paiement (DSP) qui est applicable en France depuis le 1er novembre 2009.
- Ensuite parce qu’il existe de nombreuses solutions pour gérer ce point : compte séquestre (Price Minister) ou compte de tiers (MyMajorCompany) délégation accordé par mandat de gestion des fonds (Charitic), recours à un opérateur externe (CommonBox avec Paypal ou Leetchi avec Tunz).
Les autorités réglementaires des USA ont soulevé un nouveau point en considérant que les services de prêt entre particuliers constituaient un produit d’investissement spécifique qui nécessitaient la publication d’une notice d’information spécifique (à l’image d’une notice d’introduction en bourse ou d’une notice d’une SICAV pour l’AMF) (cf article). Cette interprétation est novatrice car elle est indépendante des mécanismes juridiques supports (prêts, flux financiers directs et compte de tiers) qui eux ne nécessitent pas la publication d’une telle notice. L’émergence de cette nouvelle obligation, non anticipée par les acteurs, a bouleversé le jeu concurrentiel car elle a obligé le leader Prosper à fermer toutes nouvelles souscriptions pendant 9 mois (et a brisé la dynamique de croissance qu’il avait initié et qu’il n’a pas encore reconstitué) et a permis à son challenger Lending Club (qui avait commencé en avance de phase et publié plus rapidement sa notice d’information) de prendre clairement l’ascendant sur le marché. L’ironie, c’est que cette situation va probablement changer car il est prévu que la régulation de ce type d’activité soit reprise à la FED (qui n’a pas brillé dans le domaine) pour être confiée à une future agence financière de protection du consommateur (cf article).
Le prêt entre particuliers n’est pas concerné, par contre, par les obligations de ratio prudentiel bancaire du fait de l’absence de risque de contrepartie (comme l’était à l’origine le modèle des banques mutualistes).
Un autre point d’importance (en terme d’obligation de contrôle) est la lutte anti-blanchiment pour s’assurer que les fonds prêtés n’ont pas une provenance illégale. La 3e Directive Européenne Anti-blanchiment renforce considérablement cette obligation. Cette directive est très contraignante et très extensive dans son application (au-delà des acteurs bancaires). C’est un peu l’équivalent du « Patriot Act » américain qui, pour rappel, substitue des règles de traitement différenciées du droit commun pour les actes de terrorisme. L’anti-blanchiment est devenu la nouvelle « menace nucléaire » pour les banques car elle ressort de plus en plus à une obligation de résultat et une pénalisation croissante. L’affaire de Daniel Bouton, mis en examen dans l’affaire du Sentier est emblématique de cet état de fait. On n’est pas loin parfois de la psychose dans les établissements financiers et d’ores et déjà les moyens utilisés pour s’y conformer vont à l’encontre de certaines règles de protections des consommateurs (notamment à travers l’extension du champ d’application des contrôles), de protection des données et de non discrimination. En ce qui concerne le micro-crédit, proche du prêts entre particuliers, Tracfin a identifié celui-ci comme un nouveau risque émergent en terme de blanchiment. A la lecture détaillée du dernier rapport (une seule mention P46), aucun scénario n’est identifié ni aucune statistique fournie. Selon toute apparence, il s’agit plutôt d’une piste conclusive peu investiguée. Je suspecte même qu’un amalgame soit réalisé avec la micro-finance dans les pays en développement (où l’absence d’infrastructure bancaire conduit effectivement à d’extensive manipulation d’espèces) – mais cela n’ait rien à voir ! Nous avons analysé (chez FriendsClear) différents scénarios (par exemple avec des abandons de créance) sans pouvoir identifier de véritables scénarios de risque dans ce domaine.