Soirée débat Les-crises.fr

J’ai assisté à la soirée débat organisée par Olivier Berruyer de (l’excellent) blog Les-crises.fr.

Ses contributions sont rassemblées dans son livre « STOP ! Tirons les leçons de la crise« .

J’en tire les quelques réflexions suivantes :

Il y a deux équilibres fondamentaux :

  • L’endettement souverain
  • La balance extérieure.

Auxquels sont normalement attachés des mécanismes correcteurs :

  • Si on emprunte trop, le poids des intérêt croitra de manière qu’ils absorberont l’essentiel, voire la totalité voire excèderont les montants des échéances remboursées. Cette situation ne peut alors que conduire les prêteurs à rationner voire à stopper leurs financements.
  • Si la balance extérieure est déficitaire, le mécanisme est similaire car il faut soit emprunter des devises (donc s’endetter), soit en créer ce qui diminue la valeur de la monnaie. En régime de change flexible cela conduit à une baisse des parités monétaires qui rend les exportations plus compétitives et les importations plus couteuses.

Si on considère les zones USA, Europe et Chine, on a du mal à voir ces mécanismes correcteurs à l’œuvre :

  • Les USA semblent emprunter au-delà de toutes capacités à rembourser depuis longtemps et ne semble pas décidé à tenter de corriger quoique ce soit. Néanmoins, si les USA diminuent de moitié les dépenses militaires, imposent une TVA à 20% et fiscalisent les plus riches le potentiel de prélèvement y reste important, sans compter la capacité de rebond et d’innovation dont les USA ont souvent fait preuve (on parlait du déclin et de la désindustrialisation des USA dans les années 80).
  • L’Europe semble aussi emprunter au-delà de toutes capacités à rembourser depuis longtemps mais la conscience de la nécessité de rééquilibrage y est patent (y compris dans les populations). Le potentiel de réduction des dépenses militaires, d’augmentation du taux de TVA ou d’accélération du taux de croissance y semblent moins prometteur.
  • La Chine maintient une parité administrée sous-évaluée de sa monnaie pour continuer à accumuler des excédents de réserve de change et des titres de dette au détriment de tout processus de rééquilibrage.
  • Remarquons au passage que la Grèce a un petit coté américain puisque l’on pourrait y diviser les dépenses militaires par deux (les plus élevées d’Europe en % du PIB), y imposer les armateurs et l’Eglise (tous deux exonérés d’imposition), contrôler l’évasion fiscale (évaluée à 300 Mds €, le montant de la dette) et faire rentrer les impôts (il n’y a pas de cadastre informatisé en Grèce par exemple).

Est-ce qu’il est déjà trop tard ?

Il est difficile de répondre à cette question car le vrai problème c’est que l’on ne sait pas quel est le seuil et le timing de décrochage. Si on dispose de temps pour se rééquilibrer ou se préparer à contrôler sa glissade, on peut passer le point d’inflexion, même si, sur le papier, on est hors de la zone d’évolution (le Japon vit bien avec un endettement de 200% du PIB).

Comment en sortir ?

Pour l’endettement, il y a deux manière d’un sortir :

  • La monétisation
  • Le défaut

La monétisation consiste à émettre de la nouvelle monnaie pour payer ses dettes. Mais l’augmentation de la masse monétaire à activité constante porte un risque majeur : celui de générer de l’inflation. Jusqu’à présent, ce risque ne s’est pas concrétisé du fait de la pression sur les prix exercée par la mondialisation malgré des injections massives de liquidités. Celles-ci ont généré des phénomènes de bulles, sur l’immobilier, sur les produits cotés et surtout sur les produits financiers dérivés. Le financement des dettes souveraines par la monétisation a déjà été expérimenté : par la Fed lorsque celle-ci était le premier acheteur des émissions de dettes du trésor US ou, plus ponctuellement, par la BCE qui a acheté des titres de dettes souveraines en situation de tension. Une grande partie des émissions de dettes souveraines est néanmoins encore absorbé par le marché. Le passage à un financement exclusif par monétisation exercerait une tension d’une toute autre intensité sur l’inflation.

Et le problème de l’inflation, c’est qu’une fois enclenchée, on ne la contrôle pas. Elle se répand comme la monnaie et les mécanismes de contrôles nominaux (contrôle des prix) ont montré par le passé leur inefficacité. L’inflation permet certes « l’euthanasie des rentiers » mais le remède est pire que le mal car elle lamine tous ceux qui ne possèdent pas de pouvoir de négociation par rapport à leurs revenus (retraités, titulaires de transfert sociaux, fonctionnaires,…). L’inflation est l’équivalent d’un impôt sur les plus pauvres.

Le défaut consiste à dire à ses créanciers que l’on ne peut plus rembourser. Il peut être partiel ou total, porter sur les intérêts seuls ou le capital. Le problème du défaut, c’est qu’après il n’est plus possible de se représenter auprès de ses prêteurs pour leur emprunter avant 20 ou 50 ans. Il faut donc adapter ses dépenses à ses recettes (les impôts). Pour la France, le déficit étant d’environ 100 Mds € en 2011, la charge de la dette étant de 50 Mds €, il faut lever 50 Mds € d’impôts nouveaux par an ou réduire la dépense de 50 Mds € (ou n’importe quel panachage) pour se sortir de la situation par un défaut.

La caractérisation du défaut devient ici primordiale et la Grèce a permit de s’apercevoir combien ce point pouvait faire l’objet de créativité avec des défauts « volontaires » des créanciers ou des défauts « à la carte » (décote du capital, report de la date d’échéance ou « reprise » en dette des remboursements effectués).

Le défaut a cet avantage sur l’inflation que l’on peut essayer de le contrôler, de le gérer de manière sélective. L’inflation n’est jamais contrôlée et elle n’est pas sélective.

Olivier Berruyer utilise une image très concrète de la dette pour les citoyens qui se disent que « ils ne sont pas responsables ». La dette est comme impôt que l’on aurait du payer mais que l’on a reporté mais qui reste du. Un impôt reporté qui a été cautionné par les générations de politiques de chaque bord qui se sont succédées depuis 25 ans. Certains précurseurs l’ont fait savoir. Raymond Barre, 1er ministre et ministre de l’économie de Valery Giscard d’Estain l’a dit en 1980. Alain Madelin, ministre de l’économie l’a dit dans les années 90. François Bayrou en a fait un thème de sa campagne en 2007 « Faire payer nos dépenses par nos enfants est irresponsable et criminel » et François Fillon, 1er ministre, l’a affirmé en 2007 « je suis à la tête d’un état en situation de faillite ». Mais tétanisés par le tabou de la « rigueur », censé porter à la perte politique toute personne l’évoquant, ils ont eu raison trop tôt, alors que l’opinion le savait mais n’était pas prête à l’entendre.

On voit donc se dessiner un cadre de responsabilité entre des citoyens redevables d’un impôt reporté et des investisseurs s’étant imprudemment avancés à prêter à des états endettés au-delà du raisonnable. Et cela d’autant plus que qu’une partie des citoyens et des investisseurs sont en fait les mêmes.

Les proportions suivantes ont été donnée lors du débat sur l’origine des porteurs de dette française :

  • 1/3 France
  • 1/3 Europe (dont des produits composites européens portés par des français)
  • 1/3 Reste du monde.

Il semblerait que la dette sur la France soit très concentrée en valeur sur une proportion faible (10%) des emprunteurs, détenteurs donc de gros portefeuilles obligataires souverains (des assurances-vie de plusieurs millions, dizaines ou centaines de millions d’euros notamment).

Ce sont des candidats privilégiés pour un « hair cut » (un défaut sélectif) et cela d’autant plus que les règles de garantie permettent, par ailleurs, de protéger la plus grande majorité des investisseurs (seuils de 100.000€ / personne en dépôt, garantie du capital nominal déposé en assurance-vie mais pas des intérêts générés pendant des dizaines d’années).

Un défaut « fiscalisatoire » si l’on peut dire.

Le point clé, c’est qu’il faut se préparer. Il faut avoir des plans, des options à exercer qui servent de « pare-feux » pour éviter une contagion de la crise. Et si elles ne sont pas prêtes à être exécutées, il ne faut pas compter sur elles. Dans la configuration actuelle non intégrée de l’Europe, on voit bien qu’aucune décision n’est possible en mode anticipatif.

Cela peut vouloir dire réaliser des défauts sélectifs ou au contraire circonscrire à la source le facteur de contagion.

Au début de la crise des subprimes aux USA, les prêts concernés représentaient environ 300 Md$. Si tous les pays du G20 s’étaient cotisés pour racheter ce montant, la crise n’aurait pas eu lieu. Au lieu de cela, ces 300 Md$ en ont contaminé de milliers de Mds de produits financiers qui avaient incorporés des tranches de subprimes. Mais effectivement que indirectement des contribuables français payent pour racheter des prêts immobiliers subprimes américains, je ne pense pas que l’opinion ait été prête à comprendre cela. C’était pourtant probablement la meilleure chose à faire.

300 Mds est le montant de la dette de la Grèce. C’est un montant très limité (en comparaison : France : 1800 Md€, Allemagne : 2000 Mds €, Europe : 10.000 Mds€, USA : 15.000 Mds$) que l’on pourrait absorber pour limiter toute contagion. Racheter l’ensemble de la dette grecque, c’est peut être la meilleure chose à faire aujourd’hui, notamment pour les allemands. Le faire comprendre à son opinion, c’est une toute autre affaire.

Se préparer, cela vaut aussi pour les banques qui doivent préparer leurs « testaments » ou comment elles se démantèlent de manière contrôlée en cas de crise systémique. Les banques sont totalement opposées à cette option de se préparer car cela réduirait leur « alea moral » par rapport à l’Etat. Si l’Etat a un plan, il peut décider d’organiser des défauts sélectifs limitant la contagion. S’il n’a pas de plan, c’est tout ou rien pour la banque. Et on sait que l’on ne peut pas jouer l’option rien.

Pour le moment, peu a été fait en ce sens et on n’a pas l’impression que les leçons de la crise de 2007-2008 ont été tirées.

Les autres sujets abordés lors de cette soirée débat (j’essaierai de les développer dans un prochain article) : la compétitivité, l’irrationalité du marché des CDS, le nouveau modèle de croissance.

Olivier organisera une prochaine soirée débat à fin octobre.

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