Après « Web 2.0″, un des termes les plus employés (« buzzword ») dans l’internet aujourd’hui est « social networking » (réseaux sociaux). C’est surement aussi un des termes employés avec le moins de discernement. Qu’y a t-il de commun entre une liste d’amis (buddy list) publiée sur MySpace, un site de contacts professionnels tel que Linkedin et un système de réputation sociale sur internet tel queOpinity ?
La principale source de confusion vient de l’identification des réseaux sociaux avec sa caractéristique la plus utilisée : la viralité. Celle que cherchent à exploiter tous les sites qui se dotent de fonctionnalités de réseau social. Diriez-vous, pour autant, que la principale caractéristique de votre réseau de relations est sa viralité ? Non; sa nature est incomparablement plus riche.
Qu’est-ce qui caractérise un réseau social alors ?
Je vous renvoie vers une excellente note de Jean-Christophe Capelli sur les concepts à la base des réseaux sociaux et notamment la théorie des « 6 degrés de séparation » (dont la formulation simplifiée peut être la suivante : nous ne sommes jamais éloignés à travers notre réseau de relations de plus de 6 degrés d’écart de l’ensemble des personnes du monde). La force des réseaux sociaux est liée aux conséquences de la théorie des « 6 degrés » et notamment ce qu’elle implique en terme de diffusion et de recherche :
– Le réseau social est un media de diffusion suivant un schéma exponentiel qui est le plus efficace pour atteindre les limites et saturer l’ensemble des nœuds du réseau.
– L’exponentialité des noeuds atteignables dans le réseau induit que l’on n’est jamais à plus de quelques liens de l’ensemble des informations que l’on peut rechercher. Proposition que l’on peut exprimer aussi de la sorte « il y a toujours quelqu’un dans ses relations proches qui détient les réponses des questions que l’on se pose » (ou qui nous conduira à ces réponses).
Une interprétation inversée et créative de la théorie à destination de la NSA (National Security Agency) pourrait être que « tout le monde est à moins de 6 degrés de relation de Ben Laden » (la NSA maintient un système de tracking des relations entre les individus….). Mais c’est une autre histoire….
La diffusion (viralité de l’information diffusée en mode « push ») et la recherche (proximité de l’information recherchée en mode « pull ») ne constituent qu’une dimension du réseau social en terme de puissance du media.
Le réseau social possède aussi d’autres caractéristiques que sont le filtrage et la confiance.
Les flux ne se répartissent pas de manière homogène entre les nœuds dans un réseau social. Certains nœuds sont des « hubs » et certaines sections ne laissent circuler que certains flux. Le réseau joue un rôle de filtre. Il restreint le volume global des échanges tout en assurant néanmoins sa fonction de diffusion….avec une économie de moyen (d’activation des noeuds). Cette caractéristique est secondaire lorsque l’on considère le réseau social comme un media de diffusion par contre elle est primordiale lorsqu’on le considère comme un media de recherche (tous les parcours de recherche ne sont pas équivalents). Le filtrage est une caractéristique essentielle d’un réseau social et le distingue d’une communauté ouverte (une communauté de personnes qui publient ouvertement des contenus, des recommandations ou des données à travers des services de partage sur internet).
Le réseau social est fermé, dépendant de la manière dont il a été constitué et généralement limité dans son extension et son activation du fait de l’effort de mobilisation qu’il nécessite.
La communauté ouverte est ouverte (par définition), « l’intelligence collective » dont elle fait preuve découle de phénomène d’émergence par sélection / renforcement indépendamment de ses membres et son extension ne subit pas de limite en volume (YouTube semble t-il limité par le nombre des membres qu’il pourrait accueillir ?).
Le filtrage est aussi une composante fondamentale car il permet de structurer et spécialiser les réseaux sociaux. Dans la « vraie vie », nous évoluons dans plusieurs cercles (personnel, professionnel, amicaux, institutionnels,….). Nous ne partageons pas les mêmes informations et nous ne sollicitons pas ces cercles de la même manière. Aujourd’hui, les sites de réseaux sociaux fonctionnellement les plus aboutis (du type Linkedin) ne proposent pas ces possibilités.
Dernier point, la nature de la confiance distingue aussi un réseau social d’une communauté ouverte.
Dans une communauté ouverte, la confiance naît de l’autorégulation. Elle est relative car elle fonctionne à l’envers par exclusion ou par repérage des informations erronées. Elle est d’autant plus puissante que la communauté est importante (et mobilise des expertises nombreuses).
Dans un réseau social, la confiance découle d’un mécanisme de « cautionnement interpersonnel » (positif ou négatif). Cela conduit à maintenir à coté de son propre profil, ce que l’on pourrait décrire comme un système d’évaluation (une « mémoire du marché ») qui influe sur la construction et l’usage du réseau social.
Les sites de « réseaux sociaux » les plus connus et les plus cités (MySpace, YouTube) ne s’appuient que sur la dimension de diffusion (viralité) du réseau social. Les caractéristiques de recherche, filtrage et confiance en sont totalement exclus (ce sont plutôt des communautés ouvertes à ce niveau). Toutes les « buddy lists » sont ainsi publiques sur MySpace. Le « réseau social » n’est ici instrumenté que comme un canal de distribution.
Les sites tels que Linkedin et Viadeo fonctionnent sur un modèle différent plus proche mais néanmoins imparfait du « reseau social » tel que défini. Leur modèle de monétisation les pousse néanmoins dans une logique d’ouverture et de communauté car fondamentalement ils vendent de la diffusion (d’offres d’emplois dans ce cas).
Au final, le service de réseau social couvrant l’ensemble des composantes décrites reste à inventer.