Le futur du web est déjà là

J’ai lu le livre de Françis Pisani et Dominique Piotet (de l’Atelier) « Comment le web change le monde » (Editions Pearson) dans lequel les auteurs décrivent très bien les transformations qui se mettent en place avec le « web 2.0″.

Plusieurs points m’ont particulièrement marqués et m’ont inspiré des réflexions complémentaires.

La distinction entre « l’effet génération » du « web 2.0″ et son adoption globale notamment en entreprise. « L’effet génération » ce sont les nouveaux usages développés par les « Digitals natives » notamment :

  • Le transfert massif par les jeunes (adolescents et jeunes adultes) de leurs activités de socialisation sur les réseaux sociaux et messageries instantanées (qui ne se recouvrent pas aujourd’hui).
  • Ce déplacement ne serait pas seulement de leur fait mais s’inscrirait aussi dans les tendances sécuritaires, de refus du risque qui se développent dans nos sociétés occidentales avancées (on n’accepte plus qu’un enfant puisse mourir ou que des aléas puisse menacer la collectivités). Cette tendance conduit à contrôler et à imposer des restrictions croissantes aux adolescents aux USA (notamment celle de sortir) et participerait largement selon l’anthropologue Danah Boyd au développement des activités de socialisation en ligne.
  • Le détournement et l’extension des services internet « traditionnels » tel que eBay ou Craiglist (un site populaire de petites annonces) par le jeunes pour des usages de socialisation (l’équivalent de la drague de supermarché dans la vie réelle).
  • Le développement de nouveaux comportement de consommation d’internet :
    • Le moteur de recherche comme point d’accès universel et unique à l’information (les jeunes ne savent plus taper d’URL et les résultats de recherche sont de plus en plus restreint à la première demi-page affichée – cf article).
    • Une appétence plus faible pour l’information, consommées de manière plus fragmentées ou demandant à être présentée différemment (« infotainement »)
    • Une sensibilité différente à la publicité (dans des formats et des modes de narration à réinventer)
    • Une conception différente des jeux, plus communautaire et continue et non individualiste et linéaire. Le jeux change de nature. Il devient sérieux. Il se mêle à la réalité. Il peut être simulation et intégrer un espace de socialisation, voire de communication ou d’interaction.
  • Ces adolescents deviennent des jeunes adultes et entrent dans le monde de l’entreprise. Ils deviennent des vecteurs de l’adoption des nouveaux usages dans les entreprises. Mais avec des nuances importantes :
    • Les usages liés à des outils : messagerie instantanée, accès unique à l’information via le moteur de recherche, culture de partage et de co-édition (bookmark, tagging,…). Ce sont ceux qui se répandent le plus facilement en entreprise. Mais ce sont aussi les moins impliquants en terme organisationnel.
    • Les usages liés à des réseaux sociaux et les pratiques de socialisation liées : Ils pénètrent beaucoup moins en entreprise. Des réseaux sociaux professionnels (Linkedin, Viadeo,..) ou à déclinaison professionnelle (Facebook) se développent mais ils restent externes à l’entreprise. Ils ne sont pas intégrés dans son SI (il n’existe pas de Facebook d’entreprise aujourd’hui même si beaucoup y pensent et en parlent). Ils sont faiblement intégrés dans les processus de l’entreprise (à l’image du recrutement sur Second Life).
    • Ces concepts ne se retrouvent aujourd’hui que dans des outils d’entreprise « pure player » peu diffusés et pas encore dans les outils collaboratifs de masse (la remarque vaut pour les réseaux sociaux comme pour les simulations sociales et les « serious game »).
  • Plutôt qu’une vague irrésistible d’adoption des usages « web2.0″, la tendance est plutôt à la juxtaposition avec les outils existants et à un certain estompement des frontières dans les usages (le mail et la messagerie instantanée ne sont que différentes options du communication). Pour les jeunes adultes « Digital native » c’est surtout la grande redécouverte du mail.
  • L’intensité des activité de socialisation internet se réduit avec l’augmentation de l’âge alors que se développe d’autres moyens plus traditionnels (travail, mariage, enfant,…).
  • Il n’y a pas que les jeunes et il n’y a pas que les réseaux sociaux sur internet. Le web est un formidable levier d’accès à l’information, de mise en relation, d’échange et de réalisation de projet. Il joue un rôle « crucial » dans la vie pour 45% des américains (« The Strength of Internet Ties » Pew Internet Projet). L’usage du web s’est banalisé. C’est un acte de la vie quotidienne.
  • Et ce temps passé sur le web n’affecte pas la vie sociale : « L’étude confirme que plus on envoie de courriels, plus on passe de temps avec les gens ou plus on leur parle au téléphone » (Pisani & Piotet).

Pisani et Piotet distinguent relation et flux :

  • Les réseaux sociaux matérialisent les relations entre individus mais pas l’ensemble des flux de différentes natures qui peuvent s’établir entre eux.
  • Cela reprend l’affirmation « La carte n’est pas le territoire » d’Alfred Korzybski abondamment reprise et transposée (cf ce, comme toujours très bon, article d’internet actu sur le sujet) . La carte n’est qu’une représentation. Elle ne porte pas l’ensemble des caractéristiques du territoire ni celles des activités qui la modifient sans cesse. Les réseaux sociaux ne sont que des cartes, partielles et unidimensionnelles de vrais réseaux sociaux beaucoup plus riches et multidimensionnels existant dans la vie réelle. Tant que la nécessité d’interconnecter les différents réseaux sociaux ne sera pas comprise, la carte n’atteindra jamais le territoire.

Pisani et Piotet introduisent une réflexion sur la prochaine génération d’innovation sur internet (le « Web3.0″). Cela me donne l’opportunité de les croiser avec mes réflexions :

  • Le web sémantique et le web social
    • un web ou l’hypertexte (des liens entre des documents) sera remplacé par des graphes modélisant les relations entre des objets et manipulable par des ordinateurs. Le « Global Giant Graph » selon l’expression de Tim Berners-Lee pour remplacer le « World Wide Web ».
    • Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, propose un concept similaire, le « Social Graph » qui relie l’ensemble des information sur la base des relations aux personnes.
    • Pour chercher de l’information, il faut chercher les personnes qui détiennent cette information. C’est l’une des leçons de l’échec du Knowledge Management (cf un de mes billet).
  • Un nouveau monde de données :
    • La multiplication des devices et capteurs multiplie les données mais les enrichissent aussi par ailleurs (geolocalisation, statut de présence, lifestream, flux RSS d’activité (activity feeds de Facebook,…)
    • Données qui peuvent être sémantisées (formatées dans des formats portables et compréhensible entre machines – par exemple des microformats)
    • Derrière cela se profile une nouvelle ère d’intelligence des données. Les données seront tellement exhaustives (en terme de couverture de la population totale) et complète que l’on sera plus proche de la réalité que d’une étude statistique. Google préfigure ce mouvement. Pisani & Piotet rapportent que « (Google a) gagné une compétition de traduction automatique du chinois à l’anglais et de l’arabe à l’anglais organisée par la DARPA, (Defense Advanced Research Projects Agency), l’agence du Pentagone pour la recherche. Or, aucun spécialiste du chinois ou de l’arabe ne travaille sur ce projet. Ils n’ont même pas de nouveaux algorithmes. Ils ont simplement plus de données. Ce qui ne marche pas quand les bases de données ont des millions de mots marche vraiment bien quand elles en ont des milliards ». L’autre exemple, et il implique encore Google, c’est Ad Planner un outil d’analyse et de planification de campagne web. La seule différence entre l’outil de Google et celui de ses compétiteurs c’est l’échantillonnage. Celui de Google est à la mesure du marché total adressé (cf article).
  • L’estompement des frontières entre virtuel et réel (intégration d’interface virtuelle dans la vie de tous les jours et intégration d’interaction avec le réel dans les mondes virtuels) :
    • Interfaces « Touch » et haptiques, les interfaces qui permettent de sortir du « ghetto » de l’écran de l’ordinateur comme Surface, la table interactive de Microsoft ou Touchwall de Microsoft qui permet de rendre n’importe quelle surface interactive.
    • Dispositif des villes numériques qui permettent de faire interagir des internautes et des foules.
    • Développement de la simulation qui permet de dupliquer des espaces et des situations réels de les réunir à distance ou de les tester ou de les rejouer.
    • La simulation possède un énorme potentiel de développement car il y a beaucoup d’opérations avec les jeux et la réalité augmenté qui superpose la simulation à la réalité qui pourraient y être effectuées en lieu du réel (collaboration, formation, étude de marché,…).
    • Sans compter le potentiel multiplicateur du croisement avec les jeux pour rendre les activités ludiques : se former, acheter des produits avec toute la notion de scénarisation croissante de ces activités.
  • Un nouveau monde de connectivité : nouvelles situations, nouveaux devices, nouveaux objets :
    • Notre internet est encore tout petit. C’est assez peu intuitif de dire cela mais ce qui est majoritairement connecté à internet aujourd’hui ce sont des ordinateurs fixes.
    • Mais demain ce seront :
      • Des ordinateurs mobiles et un par personne et non plus un par foyer, voire plusieurs en fonction de la situation. C’est la promesse des Ultra Mobile PC qui se multiplient à la suite du succès de l’eePC d’Asus. Comme pour la télévision, on passe au 2e poste, voire ici au un par personne.
      • L’internet sur mobile. On en parle beaucoup mais on n’y est pas encore :
        • 5 à 10% des utilisateurs des pays développé naviguent sur internet
        • 10% des mobiles sont des smartphones qui permettent de naviguer réellement sur internet.
      • J’en ai déjà plusieurs fois discuté dans des billets précédents, les téléphones ne peuvent être considérés comme des ordinateurs que depuis récemment. C’est une nouvelle génération de mobile qui arrive aujourd’hui et qui va donner le départ de l’internet mobile.
      • La bonne nouvelle c’est que les cycles de renouvellement des mobiles sont relativement courts .
      • N’oublions pas dans l’affaire que les opérateurs jouent un rôle clé car sans les forfaits illimités à coûts compétitifs les usages ne pourront pas se développer ou rester cantonnés à des populations limitées. Et cela implique des évolutions des infrastructures pour en supporter la charge voire une convergence entre l’infrastructure (3G et winmax).
    • Le potentiel est énorme. Il y a aujourd’hui « que » environ :
      • 500 Millions d’internautes connectés sur internet,
      • 1 Milliard d’ordinateurs et 250 Millions d’ordinateurs vendus/an,
      • 2 Milliards de téléphones mobiles et 1 Milliards de téléphones mobiles vendus/an.
    • Le potentiel est encore plus grand lorsque l’on considère tous les objets que l’on pourrait connecter : objets domestiques (électroménager, videosurveillance, senseurs domestiques), automobiles, senseurs en tous genres, notamment dans les espaces urbains, suivi des équipements, énergies,…

L’âge d’or n’a jamais existé : il est devant nous.