L’échec du Knowledge Management

Le Knowledge Management (la gestion des connaissances) a échoué. Il n’est pas devenu central dans la compétitivité des entreprises comme on avait pu le penser. Les outils qui avaient été développés n’ont pas connu l’extension qu’on leur prédisait. Les entreprises qui avaient adopté des logiciels spécialisés de KM reviennent en arrière et les remplacent par des outils plus traditionnels de portail et de gestion documentaire (qui se sont eux-même enrichis de fonctionnalités « démocratisant » le KM mais on est loin de l’ambition initiale).

Pourquoi un tel échec à l’heure de la « société de l’intelligence » ?

Reprenons le processus de base de gestion des connaissances :

– Une personne détient une connaissance dans un contexte particulier.

– Elle formalise cette connaissance dans un modèle de description de la connaissance qui en facilite la recherche et la manipulation.

– Elle la publie dans un outil de KM.

– Une personne recherche une connaissance.

– Elle formalise sa requête dans l’outil de KM.

– A partir de la recherche effectuée, elle peut accéder et manipuler la connaissance afin de l’adapter au contexte à laquelle elle la destine.

Quels sont les points d’achoppement ?

– Il n’y a aucune raison que les connaissances détenues par certaines personnes correspondent aux connaissances attendues par d’autres. Dit dans l’autre sens : il n’y a aucune raison pour que les questions que se posent certains correspondent aux réponses qu’ont apporté d’autres. Dans certains domaines, notamment avec des corpus de connaissances techniques ou structurés (exprimables sous formes de règles ou de recettes combinables), le savoir peut être transposable mais il s’agit plutôt d’exceptions que de cas général (avant on pensait le contraire). Précisons que le sujet de la connaissance peut être le même mais qu’il peut ne pas exprimé de la même manière entre le détenteur et le receveur de connaissance (une question de référentiel ou d’ontologie; problème que se pose le web sémantique). Le principal problème peut être simplement de faire correspondre les connaissances formalisées avec les requêtes exprimées. La réponse existe mais elle n’est peut être pas la où on la cherche.

– La formalisation constitue un effort souvent très conséquent. La simple caractérisation d’un document avec des mots-clés est souvent difficile à obtenir, à l’image du faible niveau de pertinence des tags utilisés dans les sites de partage video. Que dire alors d’une connaissance complexe ? Une conception alternative mise sur le développement des blogs, des wikis et du « users generated content » pour générer cette formalisation des connaissances. Cela peut être effectivement une réponse mais là encore, « l’offre » de blogs me semble très spécifique et en décalage par rapport à la « demande » de connaissance. En d’autres termes : est-ce que ce sont les bonnes personnes qui bloguent pour répondre à la « demande » (je me place dans un contexte d’entreprise en excluant la communication marketing qui elle même peut maintenant emprunter les blogs) ?

– Une fois que la correspondance entre l’offre et la demande s’est effectuée et que l’effort de formalisation a été réalisé, se pose la question : quel intérêt en retire celui qui « donne » sa connaissance ? Certains « free riders » ne vont-ils pas en profiter sans rien donner en échange par rapport à ceux qui consacrent des efforts à mettre à disposition des connaissances ? Cette question est cruciale. Elle l’est dans les pays anglo-saxon mais d’autant plus dans nos pays encore imprégnés d’une culture de retention et de lien entre le  pouvoir et l’information. Elle questionne les dispositifs de contrôle et de valorisation par rapport à la connaissance dévoilée (une forme de droit de propriété intellectuelle non juridique ou quelque chose qui s’approcherait de notre droit moral). Là encore blogs et wiki apportent un premier niveau de réponse en permettant la traçabilité de la source et la valorisation de la diffusion (avec les mêmes limites que décrites précedemment). Remarquons que des tentatives ont été menées pour intégrer dans des systèmes de Knowledge Management des fonctions de « rémunération » et de valorisation des offres et demandes de connaissance (sans succès notable mais la « liquidité » du système devait être réduite).

A ce point, la pertinence du concept parait structurellement désespérée.

Reprenons le problème : comment fait-on dans la vraie vie ?

Dans la vraie vie, on ne passe pas par ce processus quasi administratif mais plutôt :

– Si la question semble relativement générique (qualifiable par mots-clés), on s’en remet à la pertinence et l’exhaustivité d’un moteur de recherche dans la masse des ressources du réseau.

– Si la question est plus complexe ou moins générique, alors…on demande à quelqu’un.

Ce que l’on cherche c’est quelqu’un qui pourra :

– Nous restituer directement les trois (ou x) points clés sur la question qui ne sont formalisés nulle part

– Nous orienter vers la liste des ressources formalisées sur la questions, ressources pouvant n’avoir rien à voir les unes avec les autres et ne pas porter directement sur la question

– Nous orienter vers une personnes ayant la connaissance du sujet si elle même ne l’a pas.

Fondamentalement, la gestion des connaissances ne repose pas sur des systèmes de formalisation/requête/échange ou sur des moteurs de recherche. Il repose sur du réseau social. Car le seul moyen d’accéder à de la connaissance c’est l’humain. Le réseau social peut n’être que le moyen d’accéder à la connaissance (et non le support de cette connaissance) mais il constitue néanmoins la brique la plus essentielle du système. Il joue ici un rôle de filtrage (que j’ai décrit dans une précedente note comme une des caractéristiques d’un réseau social).

Nous nous sommes si longtemps passés de système de gestion des connaissances. C’est donc que nous n’en n’avions pas vraiment besoin. Que nous n’étions pas encore vraiment dans « l’économie de la connaissance » ou du moins partiellement. Un jour on dira (j’espère) « comment faisaient-ils quand ils n’avaient pas de systèmes de réseaux sociaux ? L’avenir est devant nous (dans ce domaine).