La banqueroute du mail (1/2)

Cet article est constitué de deux parties :

1/2 : La banqueroute du mail (celui-ci)

2/2 : A quoi pourrait ressembler le futur du mail ? (le suivant)

 

Le mail est devenu l’outil indispensable le plus universellement utilisé dans l’entreprise, à tel point qu’il y devient un « système critique » dont l’indisponibilité est intolérable aux utilisateurs.

Il prend la place du téléphone et s’impose encore largement dans toutes les activités collaboratives de partage des documents et des connaissances au détriment d’outils plus adaptés (espaces collaboratifs, partage de document en ligne, wiki,…).

Sa position n’est que faiblement impactée par le développement d’autres moyens de communication et de partage tel que messagerie instantanée, web-conference, outils de blogs ou de « signal social » tel que Twitter (étendu aux photos, vidéos et documents par ses compétiteurs).

Le mail est victime de son succès. L’ envolée croissante des volumes de mails échangés pose un problème majeur de productivité individuelle. A tel point que certains se déclarent en « Banqueroute de mail » (« Mail Bankrupcy ») et que l’on cite des termes tels que « Mail Overload » ou « Tsunami » dans les articles de journaux sérieux.

Marissa Mayer, vice-président de Google, confiait ainsi dans un entretien “How I work” (Fortune, 2006) qu’elle recevait 700 à 800 mails par jour !! (Elle ajoute qu’elle peut consacrer 10 à 14 heures par jours à traiter ses mails !!). Plus près de nous, une étude réalisée en France par Microsoft en 2006 a mis en évidence l’existence, en proportions significatives, de populations à haute intensité d’utilisation du mail (plus de 100 mails reçus par jour et plus de 2 heures passées par jour à traiter ses mails). Recevoir 100 mails par jour ne constitue plus aujourd’hui une situation exceptionnelle dans des grandes entreprises internationales (J’ai contribué à un livre blanc sur le sujet dans le cadre du MEDEF qui sortira bientôt et qui développe plus en détail le contexte et la problématique – je l’annoncerai sur mon blog).

Conséquence de cet état de fait, le mail a largement perdu de son efficacité en tant qu’outil de gestion du flux de travail. Lorsque j’ai commencé à travailler dans un grand cabinet de conseil (en 1997), l’envoi d’un mail valait notification, entraînait une action du correspondant et recevait réponse. Aujourd’hui l’envoi d’un mail ne peut être considéré comme un moyen de notification efficace au regard de l’inflation du volume de mails reçus. Il n’est pas rare que le correspondant attende une action de relance pour valider l’importance du mail et en tenir compte ( « tu ne m’as pas relancé, j’ai cru que ce n’était pas important »).

Le mail n’intègre pas de processus structurés pour gérer et prioriser le flux des messages (il met à disposition des mécanismes unitaires mais sans vision d’ensemble et sans prescrire les pratiques correspondantes). Il n’offre donc pas de fonction pour réaliser un suivi d’affaires ou de sujets et peu de fonction de suivi des conversations.

Le mail n’est pas très « web 2.0″. Il lui manque les fonctions clés correspondantes :

  • Il ne permet pas le partage des messages (comme peut le faire Digg ou Delicious pour les favoris et non pas dans une logique de délégation).
  • Il ne permet pas non plus le suivi et le partage de statuts relatifs aux messages. Fonctionnalité intéressante car on s’échange beaucoup de mail à la suite pour informer/notifier/ relancer sur le statut des sujets des mails.
  • Il ne permet pas de taguer les messages et de manipuler ceux-ci en s’appuyant sur ces tags. Les tags sont réduits à des catégories éditables mais non multiples dans Outlook (manipulables avec des règles néanmoins). Les tags sont plus présents dans Gmail mais celui-ci n’offre pas de règles (les tags sont utilisables pour la recherche uniquement).
  • Il ne permet pas de collecter et représenter les relations dans une vision de « réseau social » entre les personnes, les événements, les échanges et les documents échangés qui transitent via l’outil.

Cela fait beaucoup de points ! Renversons donc la perspective technique vers une perspective d’usage pour en avoir une vision plus compréhensive.

A quoi sert le mail ?

Fondamentalement à deux choses :

  • (1) Gérer l’activité quotidienne et opérationnelle
  • (2) Gérer son capital relationnel.

Pour répondre au besoin (1), il faut :

  • Procurer la possibilité de prioriser les messages, des les organiser par activités/sujets avec une vision du statut des conversations qui s’y tiennent et d’y adjoindre des indicateurs d’avancement,
  • Au-delà, permettre de partager les échanges regroupés dans certaines catégories d’activité/sujet avec l’ensemble des personnes concernées par la catégorie sans avoir à abuser de la mise en copie (les droits correspondants pouvant être soumis à autorisation),
  • Un cran au dessus, transformer le mail en une sorte de workflow non structuré s’intégrant avec des outils de gestion de projet, de tableau de bord d’activité et de workflow opérationnel. Cette vision d’intégration à terme de l’ensemble des composants est celle que veut démocratiser Microsoft.

Pour répondre au besoin (2), il faut :

  • Tracer l’historique des interactions avec chaque correspondants, y compris les correspondants « inactifs » (personnes en copie d’échanges mais sans échange direct), les lier aux autres éléments disponibles (messages, documents échangés, événement du calendrier, tâches,…) et pouvoir les retrouver et les afficher unitairement,
  • Faire de la « recherche sociale » c’est-à-dire répondre à la question « Qui est-ce je connais ? Comment est-ce que je le connais ? » en cherchant par organisation, par participation à un dossier, par sujet, par proximité sociale, etc…
  • Visualiser, explorer, voire simuler son « graphe social » c’est-à-dire l’ensemble des personnes que vous connaissez, le type de lien qui vous lie avec elles et les sujets que vous avez en commun et l’ensemble des personnes qui sont liés à un ou plusieurs degrés avec ces personnes. Et à partir de cela, entreprendre des actions de développement relationnel tel que reprendre contact avec telle personne que l’on n’a pas vu depuis longtemps ou qui se trouvait à un événement en commun mais que l’on n’a pas croisé, demander une introduction vers un nouveau contact, envoyer ou demander des informations, etc… Ce que l’on fait « dans la vraie vie » sans outil ou de manière très manuelle en s’appuyant sur des services tels que Linkedin ou Viadeo (mais qui ne sont pas intégré avec les outils de communication).

Aujourd’hui des applications existent qui apportent des premiers niveaux de réponse à ces différents besoins. Citons notamment ClearContext, Xobni (dont j’avais précedemment parlé et qui bénéficient d’un buzz récent dans 01NetTechcrunchGiga OMDon Hodge,…), Knowledge Network (un module de la plateforme collaborative Microsoft Office Sharepoint Server), de même que Yahoo! Life Mail!, Xoopit et j’en passe.

ClearContext et Xobni sont à la base des outils de datamining de votre boite mail qui complètent la vue traditionnelle « inbox » par des vues enrichies (historique, éléments liés, personnes liées, conversation,… ) et des tableaux de bord.

  • Les apports de ces outils se font à plusieurs niveaux :
    • Les vues enrichies permettent une meilleur gestion de l’activité quotidienne et opérationnelle en mettant à disposition plus d’information pour prioriser et gérer ses mails et ses contacts (ClearContext est notamment orienté vers la priorisation des mails)
    • Les nouvelles possibilités d’exploration des données sont aussi très utiles pour la gestion de son capital relationnel
    • ClearContext ne se limite pas à l’analyse comme Xobni et propose une surcouche associant la présentation et mais aussi les traitements associés des mails pour une productivité améliorée.

Knowledge Network de Microsoft permet d’analyser sa messagerie, de créer un profil de son activité et de le partager dans des groupes ouverts ou restreints au sein d’un portail d’entreprise (Sharepoint). Il s’agit d’une solution pour la « recherche sociale » et la gestion relationnelle.

Yahoo! Life Mail! a pour objectif l’intégration de la messagerie et des réseaux sociaux avec la perspective très ambitieuse de rendre utilisable l’ensemble des informations rendus ainsi accessible par l’ensemble des applications liées. L’exemple cité est la possibilité d’inviter des amis au restaurant, en s’appuyant sur leur localisation géographique et leurs préférences culinaires qu’ils ont renseignées dans leurs profils (cf article de ZDNet). Cette vision est partagée par d’autres acteurs de la communication et des réseaux sociaux, à commencer par Microsoft qui développe des scénarios transverses associant l’ensemble de ses services Live (Hotmail, Messenger, Spaces, Mesh,…).

L’intégration de l’ensemble des ses interactions sociales (messagerie, blog, flux RSS abonnés, favoris, réseaux sociaux,…) est un objectif poursuivi par de nombreuses applications émergentes. Citons notamment Xoopit qui intégre l’ensemble de ces éléments dans une messagerie tierce ainsi que Zenbe, un outil de webmail de nouvelle génération.