Droles de banques

La crise financière actuelle n’a rien à voir avec quoique ce soit qui soit arrivé précédemment. L’histoire des crises antérieures nous est donc de peu d’utilité. Ce n’est pas une crise opérationnelle (l’activité des entreprises ne s’est pas écroulée, l’activité de détail des banques non plus), ce n’est pas une bulle boursière (les entreprises cotées n’ont jamais fait autant de bénéfices et leurs cours n’ont jamais été aussi bon marché), c’est une crise de liquidité bancaire.

La crise met en relief cette spécificité des banques : l’argent est la ressource clé de leur activité, leur matière première. Quand les banques ne peuvent plus s’en procurer, elles sont comme des aciéries sans minerai de fer : elles ne peuvent plus fonctionner. Mais, au contraire d’une aciérie qui peut s’arrêter un temps, une banque ne peut pas s’arrêter. Elle gère en continue une position débitrice ou créditrice de sa ressource clé par rapport aux autres établissements et au marché et, si elle ne peut l’assurer, elle se trouve instantanément en situation de faillite potentielle.

Quand les banques n’ont plus confiance les unes envers les autres, qu’elles ne se prêtent plus sur le marché interbancaires, préférant garder leurs liquidités pour leurs propres besoins, on entre dans un « corridor de la mort » où chacune, y compris les plus grandes, est susceptible de trébucher. C’est ce qui est arrivé à Lehman Brothers (la plus grosse faillite de l’histoire des Etats-Unis). Il faut bien comprendre que, même si certaines banques ont des positions de liquidité plus favorables que d’autres (typiquement les banques de détail qui collectent les fonds des particuliers), elles gèrent des engagements (des refinancements d’opérations financières arrivant à terme par exemple) qui font qu’elles ne sont jamais totalement couvertes en terme de liquidité sur la totalité des jours de l’année. C’est même la base du métier de banquier de se refinancer et de transformer des échéances en d’autres échéances (typiquement des transformer des échéances court terme en échéances long terme). C’est l’activité de gestion actif / passif au cœur du métier des banques. Les banques françaises sont avantagées dans ce domaine car elles reposent sur un modèle de « banque universelle » qui équilibre des activités de banque de détail (de collecte de fonds) et de banque d’investissement et de marché (qui nécessitent des fonds pour alimenter leur activité). Aux USA, où la réglementation a poussé à la séparation de ces activités, il n’existe plus actuellement de banques d’investissement et de marché : elles ont du se faire racheter ou s’adosser à des banques mieux dotées en liquidités ou ont changé de statut.

Au final dans une crise interbancaire, la dernière voix appartient aux banques centrales qui sont seules capables de fournir les liquidités aux banques que le marché ne leur offre plus. Et cela, elles le font de manière discrétionnaire. Bearsterns n’a pas été sauvé aux USA par la banque centrale car ils avaient précédemment refusé de participer avec l’ensemble des acteurs du marché à une opération de sauvetage financier monté par la FED. Et Lehmans Brothers y est passé parce que la FED ne voulait apparemment pas que les acteurs du marché pensent qu’il n’y aurait pas de sanction (philosophie très américaine; souvenez vous d’Arthur Andersen qui a payé pour Enron).

Revenons un peu en arrière, à la source de la crise de confiance qui a asséché le marché interbancaire : les subprimes et plus précisément l’augmentation du risques de défaillance de paiement des ménages américains ayant contracté des prêts immobiliers « subprime ».

A posteriori, on est frappé du caractère « homéopathique » de la crise qui, à partir de ce problème spécifique américain (où manifestement il y a eu carence de la réglementation) s’est propagé par contagion, via des produits de titrisation sophistiqués, à l’ensemble des acteurs mondiaux de la finance, contaminant par extension la confiance en l’ensemble de leurs actifs, voire de leur pérennité, et alimentant un cycle sans fin de provisionnement et de mise en quarantaine qui nous a conduit à l’écroulement de tout le système financier mondial.

Car de combien parle t-on ? Si on considère que le stock de crédit immobilier US est de 12.000 milliards de dollars, les subprimes en représentent environ 25% et le taux de défaillance attendu de ceux-ci est d’environ 25% (il y a des ménages américains subprimes qui remboursent leurs prêts – ce n’est pas inutile de le rappeler !). On arrive a un montant total des prêts à garantir de 750 milliards de dollars. Et encore ne s’agit -il là que du montant total des prêts à garantir. Le coût à financer au final ne sera que de la part que ne pourront pas couvrir les ménages du fait de l’augmentation des échéances. Si cette part s’élève à 30%, le coût total de cette opération de garantie sera de 250 milliards de dollars.

Qu’est-ce que 250 milliards de dollars comparé à la crise actuelle ? Plus grand-chose…(mais il s’agit là d’un montant qui devra être réellement et directement déboursé).

Le plus important dans cette mesure, ce ne sont plus les subprimes, mais la reprise des provisions en cascade qui ont été passées pour les garantir et se garantir envers les établissements qui en étaient trop « chargés ». Autrement dit un facteur multiplicateur d’autant plus important que l’on avait perdu la traçabilité entre le sous-jacent et les multiples niveaux de titrisation et de recomposition des produits qui les incorporaient.

Car la crise est plutôt une crise systémique des provisions. Le problème est très bien illustré par l’affaire Kerviel. Lorsque celle-ci a été connue, la Société Générale a préféré déboucler sa position à risque, en perdant 5 milliards d’euros avant de révéler les faits. Certains commentateurs ont alors critiqué cette décision argumentant qu’il aurait mieux fallu déboucler cette position de manière plus étalée dans le temps afin d’en minimiser les pertes. Enorme erreur ! Car une fois révélée la situation de la banque, cela aurait forcé les établissements détenteurs de titres et d’engagements vis-à-vis de la Société Générale à provisionner en conséquence les risques dans leurs bilans. Autant dire qu’entre 5 milliards d’euros certains et des montants incertains mais astronomiques de provision le choix est vite fait. C’est l’illustration du risque systémique qui joue à plein aujourd’hui et via le jeu des provisions impacte les acteurs financiers les uns après les autres.

Si le risque subprime est supprimé, il y a des centaines de milliards de provision à récupérer dans les bilans des établissements financiers…

L’autre problème plus urgent c’est la liquidité du marché interbancaire. Là encore, les banques centrales doivent réimposer des règles du jeu en conditionnant la mise à disposition de ressources monétaires à la mise en commun à la suite des ressources disponibles des banques tout en en garantissant le risque.

Cela vous dit quelque chose ? Cela ressemble au mécanisme de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier après guerre qui a donné naissance à l’Europe.

Il ne faut pas s’en étonner. Les appels au politique se multiplient et on évoque la nécessité de solutions hétérodoxes.

Une petite précision s’impose : quand on entend parler de solutions hétérodoxes, il s’agit de solutionsréellement hétérodoxes, pas de progressisme bon teint ou de marketing politique sur la nécessité de l’interventionnisme et de la réglementation comme la gauche ou l’extrême gauche en émaillent leurs discours. Que l’Europe et le Japon se joignent aux USA pour garantir les crédits subprimes américains ou que la régulation des marchés financiers soit centralisée au niveau européen, je ne pense pas que ce soit ce à quoi pensent nos hommes politiques. Mais il faut souvent des crises pour faciliter les prises de consciences et faire bouger les lignes…

Et puis, on est déjà aujourd’hui assez loin lorsque les banques sont nationalisées à tour de bras et les états se mettent à garantir l’ensemble des dépôts et des engagements bancaires.

Quelques autres réflexions dans la foulée :

  • Les normes comptables ont du plomb dans l’aile. Les normes IFRS (International Financial Reporting Standards) ont été adoptées pour mieux refléter la vraie valeur de l’entreprise (« fair value » ou « image fidèle ») et notamment en réaction de la créativité comptable de l’ère Enron. La nécessité d’offrir une vraie valeur des comptes de l’entreprise l’a emporté sur l’inconvénient de l’inscription directe dans les comptes de la volatilité de l’évaluation des actifs financiers détenus. Le problème c’est que dans la situation de crise actuelle, la valeur relevé sur le marché ne représente en aucun cas la vraie valeur. On se retrouve donc avec le pire de chaque monde : la volatilité et une fausse image des comptes (et des provisions associées). La « fair value » étant à la base du modèle, des évolutions sont inéluctables.
  • Les banques vont devoir refondre en profondeur leur Systèmes d’information. Avec l’affaire Kerviel, on s’était rendu compte qu’il y avait des carences dans le contrôle des risques, notamment lorsque ceux-ci étaient basés sur des feuilles de calcul cryptiques seulement maîtrisés par ses concepteurs. Maintenant, on s’aperçoit qu’il n’existe pas de « piste d’audit » entre le sous-jacent et les produits qui l’incorporent et moins encore sur l’évaluation du risque correspondant. Et aussi, que les modèles peuvent connaître des « zones de décrochages » qui ne sont absolument pas prévues. Vastes chantiers en perspective…
  • Top départ bonnes affaires. Il y a de bonnes affaires à faire et la crise fluidifie grandement le jeu. Des opérations qui auraient pris des années deviennent accessibles à court terme (Fortis racheté par BNP Paribas, Fusion Caisse d’Epargne et Banques Populaires,…). Et ce n’est que le début. Les banques conseil en Fusions et Acquisitions qui n’ont pas chômé sur les opérations de recapitalisation actuelles ont de beaux jours devant elles. Et je pense que les Etats ne font pas de si mauvaises affaires que cela. Ils s’emparent au final à bas prix d’établissements bancaires qui vont se revaloriser très vite à la suite à la manière d’Alstom.