Contexte reglementaire du Pret entre Particuliers en France (suite) : les containeurs

Suite à mes deux précédents billets sur le contexte réglementaire du prêt entre particuliers (ici et ici), j’ai eu des échanges qui m’amènent à préciser certains points notamment sur les « supports » de placement (“les containeurs”).

Le caractère direct du prêt entre particuliers admet différentes graduations :

  • Gré à gré en direct entre particuliers
  • Intermédié en direct entre particuliers
  • Intermédié via des « containeurs » à prêteurs ou emprunteurs
  • Intermédié au sein d’une communauté

Le modèle Intermédié via des « containeurs » à prêteurs ou emprunteurs pouvant lui-même être décliné en plusieurs options :

  • Modèle IMF (Institution de Micro-Finance)
  • Modèle « banque low-cost »
  • Modèle « produit de placement ».

 

Les modèles du prêt entre particuliers du plus au moins direct sont les suivants :

  • Gré à gré en direct entre particulier
    • Acteurs : FriendsClear avec son service de Prêt familiaux et amicauxLendFriendVirgin Money
    • Les acteurs prennent en charge eux-mêmes en direct le choix et l’évaluation de leur contrepartie ainsi que de la gestion de leur relation. C’est le modèle le plus « pur » du prêt entre particulier
    • Ils peuvent réaliser par eux-mêmes l’ensemble des composantes de leur relation ou en confier certains aspects à des tiers de confiance fournisseurs de service . Typiquement :
      • La contractualisation (avocat, notaire,…)
      • Les paiements (opérateur de service de paiement – SDP)
    • Des transactions de gré à gré peuvent aussi être intermédiées par des acteurs de marché (professionnels) qui réalisent des échanges en direct entre eux (hors marché). C’est typiquement le cas des « dark pool » ou plusieurs banques peuvent s’échanger des titres sans passer par un marché organisé. Aucun acteur organisé de ce type n’existe dans le prêt entre particuliers . Des courtiers, des notaires ou d’autres intermédiaires, comme des experts-comptables, pourraient potentiellement développer ce type d’activité mais, à ce jour, il s’agit d’un marché gris de transactions ponctuelles non structurées (marché gris estimé néanmoins à 2 Mds € / an).
    • Il est théoriquement possible d’envisager sur internet des forums qui mettraient en relation des emprunteurs et des prêteurs mais l’absence d’identité contrôlée sur internet rend en pratique impossible cette option. Il s’agit, presque systématiquement, d’escroquerie visant à demander des frais en avance pour des fonds qui ne seront jamais versés (demander des frais en avance sur un prêt est illégal en France).
  • Intermédié en direct entre particulier
    • Acteurs : FriendsClearProsperLending ClubSmavaZopa (« Listings »)
    • Les prêteurs ne connaissent (généralement) pas les emprunteurs et sont mis en relation via le service. Celui-ci est en charge de l’animation de la communauté (recrutement des prêteurs et emprunteurs, échanges d’informations entre eux), du contrôle et de l’évaluation, de la gestion de la collecte des fonds et des prêts, de la gestion des paiements, etc…).
    • Les prêteurs choisissent nominativement les projets qu’ils veulent financer de manière participative (à plusieurs). Une fois le financement atteint en totalité, un prêt est mis en place dont les échéances (capital + intérêts) sont versés aux prêteurs. Le lien direct entre prêteurs et emprunteurs est maintenu jusqu’à la fin du prêt.
  • Intermédié via des « containeurs » à prêteurs ou emprunteurs
    • Par « containeurs », je défini une « structure d’interposition » entre les fonds apportés par les prêteurs et les prêts accordés aux emprunteurs. Typiquement, il s’agit de constituer des « portefeuilles » regroupant plusieurs prêteurs ou plusieurs emprunteurs et de de réaliser les opérations via ces portefeuilles et non pas en direct. Cette catégorie relève du prêt entre particuliers du fait du caractère direct de l’affectation des fonds entre les « containeurs » à prêteurs et emprunteurs.
    • Par comparaison, le modèle de la banque traditionnelle est d’avoir des « containeurs » à collecte de fonds (compte sur livret, compte à terme, supports de placement,…) complètement disjoints de l’utilisation faites des fonds (financement des particuliers, des entreprises, des organismes publics, des projets internationaux,…. par prêt, par titre de placement, voire en capital). La banque joue alors son rôle fondamental de mutualisation et de transformation des flux financiers de n’importe quel couple (risque, rendement, échéance) de collecte vers n’importe quel couple (risque, rendement, échéance) d’utilisation. Comme dans une raffinerie, le processus de transformation peut nécessiter de transiter par différents niveaux d’intermédiation (titrisation, fonds de fonds,…). La contrepartie de ce dispositif étant pour l’investisseur :
      • Le manque de transparence
      • L’absence de contrôle de l’affectation
      • Le niveau des coûts d’intermédiation.
  • Intermédié au sein d’une communauté
    • C’est le modèle de la « banque de communauté » à la base du développement du mutualisme. Il s’agit de collecter des fonds auprès d’une communauté pour reprêter au sein de celle-ci répliquant des solidarités pré-bancaires.
    • Sont utilisés ici des « containeurs » qui sont des produits de placement ou de financement bancaires traditionnels. La seule différence réside dans l’affectation directe au sein de la communauté des financements avec la règle de ne prêter que ce qui est collecté (pas d’appel à des ressources financières externes).
    • Ce modèle n’existe plus en France où les banques mutualistes ne sont plus limitées à leurs souscripteurs initiaux (il n’y a pas que des agriculteurs au Crédit Agricole) et où elles ont adoptés le modèles des banques commerciales (et notamment elles se refinancent sur les marchés et ont développé des activités de marché).
    • Ce modèle existe toujours aux USA où subsistent autant de banques mutualistes qu’il y a de banques commerciales et dont certaines sont centrées sur des communautés réduites comme les pompiers de San Francisco (San Francisco Fire Credit Union), les employés du Pentagone (Pentagon Federal Credit Union) ou les employés d’IBM du sud-est (IBM Southeast Employees Federal Credit Union) (liste ici).
  • Les différents modèles de d’intermédiation via des « containeurs » sont les suivant :
    • Modèle IMF
      • Acteurs : KivaBabyloanVeecus
      • La collecte des fonds est réalisée en direct auprès des prêteurs.
      • Les containeurs « emprunteurs » sont constitués par les IMF (Institutions de Micro-Finance) dans les pays en voie de développement.
      • Les internautes-prêteurs ne prêtent pas directement aux entrepreneurs-emprunteurs qui sont présentés sur les sites. En fait, ils « refinancent » les IMF qui ont présentés les entrepreneurs sur lesquels ils ont investis. Ils soutiennent la stratégie de financement des IMF dont les entrepreneurs proposés constituent le flux, décalé dans le temps, des dossiers traités.
      • Dans ce cas particulier, il n’y a pas de taux d’intérêt coté prêteur mais un taux d’intérêt coté emprunteur touché par l’IMF.
    • Modèle « banque low-cost »
      • Acteur : Zopa
      • Zopa regroupe les prêts de ses emprunteurs dans des « portefeuilles d’emprunteurs » aux caractéristiques différenciées par catégories de risque (les moins risquées ayant le plus faible taux d’intérêt).
      • Les prêteurs investissent en direct dans le portefeuille de leur choix.
      • C’est un modèle de « banque low-cost » car il s’agit d’investissement direct de prêteurs mais sans s’impliquer dans le choix de l’actif sous-jacent des projets emprunteurs.
      • A partir de ce modèle d’origine, Zopa a ouvert des « Listings » qui permettent à un prêteur d’investir aussi directement dans des projets emprunteurs et non plus seulement dans un portefeuille.
      • L’origine de ce modèle trouve naissance avec Michael Milken et les « junk bonds » au début des années 80. A l’époque les PME américaines ne disposaient que d’un seul canal de financement via les banques avec les mêmes difficultés que celles posées actuellement. Milken leur a ouvert la possibilité de se financer via des émissions de titres sur le marché obligataire en construisant des « containeurs » regroupant des PME exposant, grâce à l’analyse financière, des caractéristiques financières similaires titrisables sur un marché. Ces PME présentaient des risques supérieurs à celui des grosses entreprises plus stables mais servaient en conséquence des rendements plus élevés.
    • Modèle « produit de placement »
      • Acteurs : fonds de Micro-Finance, SICAV solidaires, Dépôt à terme NEF
      • Les prêteurs investissent dans des supports de placement dédiés.
      • Les fonds de ces produits de placement sont utilisés pour investir en direct dans des projets aux caractéristiques recherchées. L’investissement peut alors être direct ou semi-direct (via un autre « conteneur à emprunteurs »).
      • Les fonds de micro-finance sont semi-directs, c’est-à-dire que les prêteurs investissent dans un fonds qui investit lui-même dans plusieurs IMF qui investissent elles-mêmes dans des projets sur le terrain.
      • Point à noter, la réglementation française actuelle interdit les fonds de micro-finance en France. La plupart des grandes banques française se sont positionnée sur ce segment ou disposent de fonds de micro-finance mais généralement localisés au Luxembourg. Pour plus d’explication sur cette incompréhensible et exotique exception française je vous renvoie à ce très bon article du cabinet de conseil SIA. Le fonds Danone Communities qui a pour objectif d’être un fonds de micro-finance localisé en France est ainsi, réglementation oblige, investit à 90% en actifs monétaires et à 10% seulement en projets de micro-finance.
      • En fait la réglementation confond transparence et compétence. Pour investir dans un actif risqué, un investisseur doit être « qualifié » au sens de la réglementation MIF, c’est-à-dire faire preuve de « compétence » (historique d’opérations de même titre, affectation limitée de son patrimoine dans des opérations de technicité « nouvelle »). Un investisseur non compétent au sens de la MIF ne peut donc pas prendre de risque même si cela est parfaitement transparent. Un particulier qui n’a pas un patrimoine important et n’a jamais réalisé d’opération en bourse ou sur des placements risqués n’est donc pas autorisé à investir dans un fonds de micro-finance, placement parfaitement transparent sur le risque encouru (l’argent est prêté à des projets « incertains » dans le tiers-monde) mais qu’il n’a pas la « compétence » financière à effectuer. A contrario, un investisseur compétent peut légitimement craindre que l’on ne lui oppose pas une transparence parfaite (ceux qui ont investi dans des instruments exotiques l’ont découvert) . Et, il y a aussi le cas du « trou » dans la réglementation avec un investissement « transparent » « non compétent » qui se révèle « non transparent » « compétent » (je pense bien sur au cas de Natixis vendu comme un placement de père de famille et qui s’est révélé très exposés sur des instruments financiers très sophistiqués).
      • Ce problème de seuil d’investissement se retrouve aussi dans les produits de placement solidaire comme par exemple les SICAV solidaires du Crédit Coopératifou les Fonds d’Epargne Salariale Solidaire. Ils sont conçus plus comme des produits de diversification de portefeuille que d’investissement en direct.
      • Pour caricaturer je dirais « si vous voulez investir en direct de manière responsable en contrôlant l’affectation de votre argent, allez au Luxembourg ! » (ce qui constitue un scandale !).
      • Dans ce paysage, la NEF a un modèle à part car elle propose une palette de produits de placement (compte à terme, compte épargne et plan épargne) dont les produits sont couplés à de la distribution en direct de financement d’activités économiquement responsables. Cela nécessite un statut bancaire et la NEF opère pour le moment en partenariat avec le Crédit Coopératif et va rejoindre la Banque Ethique Européenne, banque de plein exercice en cours de création. Je ne connais pas d’autres exemple de supports de placement couplés et dédiés à de l’investissement direct mais rien ne s’oppose à leur développement.

A contrario, les modèles suivants ne sont pas des modèles directs et relèvent donc d’une autre logique :

  • Les fonds ISR (Investissement Socialement Responsable) reposent sur des règles d’affectation globale mais pas sur une logique d’investissement direct.
  • Les organismes de financement en capital font de l’investissement direct mais le capital est un autre modèle comme par exemple les CIGALES (Club d’Investissement pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire).
  • Les produits financiers de partage ou de contribution reversent une partie des rendements réalisés sous forme de don à des organismes ou des causes identifiées sans aucune logique d’investissement.