Comment faire evoluer la reglementation sur la microfinance et le pret participatif

J’ai rencontré récemment Jean-Pierre Gorges, député-maire de Chartres (je suis natif de cette ville) qui est à l’origine avec Jérôme Bignon de l’évolution de la législation sur le microcrédit incluse dansla loi sur le crédit qui a été votée en ce milieu d’année.

Nous discuté :

  • En tant que député des évolutions souhaitables de la réglementation sur le microcrédit et plus précisément sur le prêt participatif qui m’intéresse au premier ordre pour FriendsClear.
  • En tant que maire, de l’opportunité d’utiliser le prêt participatif pour soutenir et financer l’entrepreneuriat individuel et favoriser le financement de proximité.

Quels sujets avons-nous évoqués ?

  • Le rehaussement du plafond du taux de l’usure
  • Le fichier positif
  • La neutralité fiscale
  • Les supports d’investissement du microcrédit.

 

Le rehaussement du plafond du taux de l’usure

Le taux d’intérêt qui est appliqué à un prêt rémunère plusieurs éléments :

  • Le coût de l’argent c’est-à-dire le coût de se procurer sur le marché monétaire les montants nécessaires aux prêts ou, si ce sont des prêteurs individuels qui fournissent ces montants, le taux de rémunérations qu’ils percevront
  • Les frais de fonctionnement du dispositif
  • La marge qui rémunère les investissements initiaux de mise en place du dispositif et les futurs investissements pour continuer à le développer
  • Le coût du risque qui en l’espèce compense les prêts qui ne peuvent pas être remboursés (si 1% des prêts ne sont pas remboursés alors il faudra que le taux soit de 1% supérieur pour les compenser).

Si chacune de ces composantes représente un coût respectif de 1% alors le taux final appliqué doit être de 4%. Mais cette hypothèse est sous-estimée :

  • Le taux de rémunération offert aux prêteurs doit être amélioré afin de rendre ce placement plus attractif que des placements monétaires traditionnels (par exemple 4%).
  • Les coûts de traitements sont aussi généralement plus élevés du fait des montants unitaires plus faible des prêts et de leur grande diversité; bonifions-le donc de 1%(n’oublions pas que le prêt est une activité soumise au monopole bancaire et entraîne de ce fait des contraintes de contrôle étendue qu’il faut assumer).
  • Le coût du risque est la principale variable sur laquelle on peut jouer. Si l’on veut prêter à plus de personnes à des profils plus divers, cela se traduit nécessairement par l’acceptation d’une exposition plus élevée au risque (au moins au niveau des modèles d’évaluation financière utilisés par les banques). Remarquons que cela n’est pas nécessairement lié au niveau de revenu. La Grameen Bank qui ne prête en microcrédit qu’à des personnes très pauvres possède un des plus faible taux de défaut. Le taux du risque est une des informations les moins diffusées. Lending Club, le leader du prêt participatif aux USA a un taux de défaut de moins de 3%. Le taux de défaut des banques et organismes de crédit peut être évalué à environ 5%. Fixons le pour l’illustration entre 2,5% et 5%.

Le taux global obtenu est de 9,5% à 12%. A titre de comparaison, le taux légal maximum autorisépour des prêts amortissables (non affectés) tels que nous les pratiquons sur FriendsClear notre service de prêt participatif est de 8,15% au 1er octobre 2010.

Le mode d’établissement actuel du taux légal maximum (pour le type de prêt que nous pratiquons dans notre activité) conduit donc à restreindre ceux qui pourraient en bénéficier.

A contrario, le rehaussement du plafond du taux de l’usure (toujours dans la catégorie de prêt de notre activité) permettrait donc de financer un plus grand nombre d’entrepreneurs.

Cette constatation n’est pas nouvelle. Elle découle d’un choix « implicite » qui oppose deux approches du crédit :

  • Un modèle que l’on peut qualifier « d’anglo-saxon » qui favorise un crédit large et qui répercute le coût du risque dans le taux d’intérêt (les populations les plus risquées peuvent accéder au crédit mais elles le paient à un taux très nettement supérieur).
  • Un modèle français qui est plus « malthusien » du crédit (les populations les plus risquées ne peuvent pas accéder au crédit ce qui permet de contenir les taux pratiqués à un niveau bas).Un rapport du sénat sur l’accès au crédit a ainsi montré qu’environ 15% de la population était exclue du crédit (il s’agit de 15% des encours mais comme cette population représente moins que proportionnellement de l’encours, cela veut dire qu’il s’agit d’un minimum de 15% de la population voire plus).

Quelques remarques sont nécessaires :

  • Cela n’a rien à voir avec le surendettement. On peut être surendetté avec un très bon profil de solvabilité (par exemple un fonctionnaire surendetté) et on peut être très solvable même en étant free-lance ou intermittent du spectacle (qui correspondent à des mauvais profils de solvabilité pour les modèles d’évaluation bancaires).
  • Cela n’a rien à voir non plus avec la crise du crédit aux USA. Donner un plus large accès au crédit n’est pas mauvais en soi et cela peut soutenir la croissance. Ce qui l’est c’est de ne pas s’assurer de la réalité des anticipations sur lesquels sont basés les remboursements (par exemple attribuer un crédit sur la base d’une augmentation future des prix de l’immobilier comme cela a été fait aux USA).
  • Derrière cela, le problème de fond c’est que nous sommes confrontés en France a un changement de la structure des emplois (pas forcement voulue par les intéressés) qui fait se développer des modes plus flexibles (intérim, contrat à durée déterminée, contrat partiel, intermittent,…) ainsi qu’une mutation des modes de travail qui conduit aussi aux mêmes conséquence (développement des activités de service intellectuel et des activités dématérialisées exercées en free-lance, montée des services à la personne,…). De phénomène marginal rejeté par les modèles d’évaluation bancaires, on en vient à un phénomène d’exclusion qui pose question au niveau de la société (pourquoi ces personnes n’aurait-elle pas accès au crédit ?).

Précisons que le réaménagement du calcul du taux de l’usure est actuellement un sujet en cours de réflexion au sein du Ministère des Finances.

 

Le fichier positif

On parle beaucoup, voire exclusivement, du fichier positif dans le cadre de la prévention du surendettement, utilisation qui n’est pas « négative » mais à tout le moins « préventive » et pas du tout de son utilisation « positive » par le consommateur pour discuter avec son banquier.

Le fichier positif est une base de données qui centralise l’historique de l’ensemble des crédits accordés à chaque personne. J’en ai déjà discuté dans deux précédents billets (ici et ici) et FriendsClear fait partie de l’initiative en faveur du fichier positif (http://www.registrenationaldescredits.com/ et http://www.fichierpositif.com/ ). Il peut être utilisé pour prévenir le surendettement en détectant l’accumulation de crédits auprès de différents établissements ne communiquant pas entre eux. Mais il peut aussi être utilisé par le consommateur pour connaitre sa situation telle qu’elle est appréciée des établissements financiers et utiliser cette information dans ses discussions pour obtenir un crédit ou en négocier les modalités. Cela est parfaitement matérialisé dans les pays ayant adopté ce type de système car à chaque « classe » de risque du fichier positif correspond différents taux d’intérêt (cette comparaison est pratiquement impossible en France).

Pour illustration, les liens vers la table des taux de Lending Club aux USA (de 6,39% pour la catégorie A1 à 21,64% pour la catégorie G5) et celle de Smava en Allemagne (de 1,38% pour la catégorie A à 42,40% pour la catégorie M).

Pour obtenir un prêt participatif sur un service tel que le notre, l’entrepreneur doit « vendre » son projet et a intérêt à communiquer à ses prêteurs potentiels le maximum d’information et d’éléments « d’assurance » pour établir une relation de confiance. Le niveau de risque constitue typiquement un élément « d’assurance » permettant de renforcer la crédibilité de son projet. Il permet de capitaliser et de restituer son historique de crédit qui, sans ce dispositif, ne peut être ni rassemblé, ni validé, ni valorisé.

A la suite de la loi sur le crédit, la comité de préfiguration du fichier positif (dénommé « registre national ») vient d’être constitué sous la présidence de Emmanuel Constans et doit conclure ses travaux d’ici à la mi 2011.

 

La neutralité fiscale

Il n’y a peu de chose qui m’énerve plus que lorsque la première question que l’on me pose sur le prêt participatif est « est-ce que l’on a une déduction fiscale ? ». Cette question est très représentative de la situation pathologique de la France où la chasse à la carotte fiscale prime sur l’évaluation réelle du rendement du placement, voire où la rentabilité de ce dernier ne se fait que sur la partie fiscale. L’Inspection des Finances a montré dans un rapport récent l’incohérence de la fiscalité française, son incapacité à canaliser l’épargne puisque coexistent de multiples fléchages antagonistes et la captation répétée de l’intérêt fiscal par les intermédiaires.

Ce qui serait souhaitable, c’est une neutralité fiscale qui fasse que lorsqu’un particulier finance un entrepreneur individuel dans sa région, il ne soit pas plus mal traité que lorsqu’il souscrit à un produit financier traditionnel totalement opaque, dont il n’a aucun moyen d’orienter les choix et de contrôler qu’il ne contribuera pas à alimenter les produits exotiques vecteurs de la prochaine crise financière.

L’avis de Jean-Pierre Gorges serait plutôt de créer une fiscalité spécifique pour les placements de microfinance. Le grand soir fiscal n’étant pas pour demain, cette vision « sédimentaire » me parait néanmoins plus pragmatique.

 

Les supports d’investissement du microcrédit

J’ai décrit dans un billet précédent la problématique des « supports » de placement en microfinance (« les containeurs« ). Le financement en direct tel qu’il est pratiqué sur notre service FriendsClear correspond au « modèle pur » du financement participatif. Cependant, il ne correspond pas forcement à ce que recherchent toutes les personnes voulant orienter leur argent vers la microfinance. Certains peuvent vouloir une implication moindre dans les choix des entrepreneurs, par exemple en abondant des projets déjà pré-sélectionnés. D’autres peuvent vouloir mutualiser et lisser les résultats de leurs placements au sein d’un portefeuille de projets. D’autres encore peuvent ne vouloir exposer qu’une part réduite de leur investissement (à l’image de la SICAV Danone Communities). Tout cela converge vers la nécessité de développer des supports d’investissement intermédiaires qui mutualiserait les investissements en microfinance avant de les réaffecter de manière plus granulaire vers les projets.

Jean-Pierre Gorges propose de créer des « Livrets Microfinance » à l’image des Livret A dont les produits sont affectés et qui disposent d’une fiscalité avantageuse. Cela me parait être une bonne idée mais il existe aussi de nombreux dispositifs, trop souvent méconnus, qui existent déjà au niveau de l’épargne solidaire et qui pourraient être déclinés ou élargis pour la microfinance. Pour une description plus complète de ces dispositifs de placement de la finance solidaire je vous renvoie à l’ »Annexe VIII La finance solidaire – Le Microcrédit – Rapport de l’Inspection Générale des Finances – décembre 2009 » (page 290).