Le Trésor qui orchestre à Bercy, les travaux de préparation de la loi sur le financement participatif prévue à l’automne 2013 a organisé le 17 juillet 2013 une réunion de présentation des propositions AMF/ACP qui seront remises au Ministère.
Frédéric Baud (de P2PVenture, FinPart et FundMyMedicalResearch) a réalisé un bon compte rendu de la réunion.
Pour un peu de contexte, mes articles précédents:
- Préfiguration de la future loi sur le financement participatif
- Projet de Réglementation Financement Participatif – Analyse et propositions
- Position du régulateur AMF / ACP sur le financement participatif
Et toujours l’espace collaboratif du « Livre Blanc Finance Participative 2013, Plaidoyer et propositions pour un nouveau cadre réglementaire« .
Le texte de ce compte rendu a été diffusé sur le groupe D4Cfinance (auquel je vous conseille de vous abonner si vous voulez suivre l’actualité du secteur) et est ci-dessous :
« Matinée assez dense ce matin au Trésor, l’ACP et l’AMF ont présenté verbalement le contenu de la lettre qu’ils devraient adresser cette semaine aux différents ministères originaires de la demande.
Le texte sera alors soumis à consultation publique à partir de septembre pendant une période de 2 mois (période pendant laquelle les lobbies en place vont certainement devenir beaucoup plus actifs), et les modifications réglementaires (et législatives) seront alors mises en œuvre.
Voici les points que j’ai noté. Que les autres participants n’hésitent pas à compléter car les points étaient très nombreux.
ACP :
1) L’ACP affirme (à tort) que le statut d’établissement participatif n’est pas possible en droit français et que la demande doit être faite à la Commission pour voir la définition du statut d’établissement participatif défini au niveau européen
2) L’ACP va demander que l’article 26 de la directive des services de paiements, prévoyant à la discrétion des états membres le statut de small payment institute pour des transferts inférieurs à €3 millions par mois soit finalement transposé en droit français. Ceci pourrait faire office de proxy à l’EFP pour les plateformes opérant sur le don et le prêt pour la partie collecte, mais pas pour les plateformes en fonds propres (on va voir plus loin pourquoi). Un capitale de €40 à €50K (au lieu de €125K) sera exigé.
3) L’ACP va demander l’amendement de l’article L511-6 pour permettre à des personnes physiques de prêter avec intérêt à des personnes physiques ou morales, sous condition de montant par prêteur, par projet, par nombre de prêteur…la totale, avec des seuils sur lesquels l’ACP n’a pas voulu donner de position publique. Ces seuils seront définis par concertation par des intervenants comme le Trésor, il faut donc attendre pour voir les montants, mais ceux-ci est la petite modification législative, mais une nouveauté très intéressante
AMF :
1) L’AMF va établir une position définissant un safe harbour (zone où on est protégé de toute requalification juridique si on respecte les exigences), sur l’information aux investisseurs (questionnaire light, multiples projets présentés,..) et la contractualisation avec le projet permettant de ne pas être considéré comme faisant une opération de placement.
2) Les PSI RTO + réception de fonds (capital €125k pourront exercer ces opérations sans avoir le statut placement non-garantie (€730K) si ils se conforment aux exigences
3) Le plafond de €100K pour les SA, sera porter à €300K (sans exigence des 50% de capital). Les SAS ne pourront toujours pas en bénéficier, mais une SAS pourra lever €300K et se transformer en SA en cas de réussite. Il faudra remplir un prospectus simplifié.
4) Un statut de CIP (conseiller en financement participatif) va être créé comme particularisation du statut de CIF. Un capital de €50K sera exigé, et le CIP ne pourra faire que des opérations « safe harbour » et ne pourra faire que des opérations « publique » type €300K. Le CIP pourra faire de la transmission d’ordre – « mais pas de réception de fonds » (cf plus haut).
Verre à moitié vide, à moitié plein. Pas de statut réel en vue, mais des propositions venant du régulateur qu’on attendait pas (l’ACP). Les mois prochains vont certainement demander une forte mobilisation, et une bonne synchronisation pour que ces pistes ne soient pas enterrées par les nombreux opposants à la FinPart. Néanmoins, les choses commencent à avancer et le dialogue avec le régulateur (par exemple la notion de safe harbour) commence à se construire sur des bases objectives. »
Mes propres analyses par rapport à la réunion :
Peut-on créer un Etablissement de Financement Participatif en France ?
L’arguments de l’ACP comme quoi la création d’un Etablissement de Financement Participatif (EFP) viendrait en exemption de plusieurs Directives européennes est vrai sur le fond mais :
- Il est possible de créer un EFP « restreint » dans le cadre des exemptions des Directives européennes et ce serait déjà une avancée significative en attendant une Directive européenne sur le sujet qui est en cours mais qui mettra du temps à se concrétiser
- De « adaptations » de ce type ont déjà été menée, la plus récente portant sur la création d’un nouveau statut de banque pour différencier l’application des contraintes de Bâle III. Je cite « Avec le tout nouveau statut de société de financement, qui devrait être précisé courant juillet 2013, pour devenir optionnel le 1er octobre 2013, les établissements de crédits spécialisés dans le crédit disposeront, par dérogation au droit commun européen, d’un nouveau statut plus adapté à leurs activités. » (reférence)
- Quand à la conformité de la réglementation financière française par rapport aux Directives européenne, elle présente des écarts significatifs, par exemple par rapport à la définition de l’établissement de crédit en droit européen : « une entreprise dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte » (pour comparaison : art. L. 511-1, art. L311-1, art. L313-1)
- Le principal soucis, il me semble, de l’ACP est de ne pas développer une réglementation transitoire « jetable » qui serait potentiellement remise en cause par une future Directive « Crowdfunding Service Provider » et introduirait un risque d’instabilité réglementaire. Au vue de la situation actuelle d’incertitude réglementaire qui frappe les plateformes, je pense que celles-ci seront prêtes à prendre le risque de cette hypothétique adaptation future.
En l’absence de ce statut si celui-ci n’est pas adopté dans la future loi, la doctrine de l’ACP doit créer un cadre stable d’interprétation (le fameux « safe harbor » mentionné par l’AMF). Cela n’est pas le cas à ce stade car l’ACP a déclaré ne pas pouvoir se prononcer en fonction des différentes modalités d’opération des plateformes. Néanmoins, l’objectif du groupe commun ACP/AMF est d’avancer sur ce sujet et de déboucher sur un cadre juridique stable.
Le régulateur est néanmoins d’accord sur le fait que la création d’un statut « sui generi » est la meilleure option du fait :
- Le crowdfunding est transversal à la réglementation existante. Il faut en regrouper les composantes plutôt qu’aller les piocher dans les différents textes disparates.
- Il est nécessaire de donner de la stabilité et de la compréhension à l’activité. Ce qui n’est pas le cas actuellement, la dispersion du droit favorisant la créativité et le manque de lisibilité pour les utilisateurs
- C’est une nécessité culturelle en France, pays de droit objectif, de se doter d’un statut pour opérer dans des conditions stables et sécurisées.
Réception des fonds
Sur la réception des fonds (au sens collecte et non pas réception des fonds du public au sens bancaire), la position de l’ACP est que les plateformes doivent être dotées d’un statut leur permettant spécifiquement cette capacité à savoir Etablissement de paiement ou Etablissement de Monnaie Electronique (ou mandataire d’un établissement de ce type) dans le cas le plus courant ou Prestataire de Service d’Investissement – Réception des fonds pour les plateformes de capital. Une possibilité complémentaire a été évoquée avec la fiducie (opérée par un établissement bancaire). La fiducie reste une solution théorique a investiguer car sa complexité de mise en œuvre en a, à ce jour, entravé le développement et sa compatibilité avec internet n’est pas assurée (il peut y avoir des stipulations de rédaction écrite incompatibles avec internet, des exceptions légales contradictoires à la loi sur confiance numérique et la preuve numérique pouvant subsister – cf article).
Pour faciliter l’acquisition d’un statut de ce type par une plateforme, l’ACP propose de transposer en droit français, le « Small Payment Institution » prévu de manière optionnel par la Directive européenne sur les services de paiements (non transposé à ce jour en droit français). Ce statut permettrait pour un volume d’activité limité (3 M€/mois) de bénéficier de conditions d’agrément réduite (capital minimum de 50 K€ [cité en réunion – à fixer par décret] au lieu de 125K€).
A noter que le statut d’Etablissement de Monnaie Electronique a déjà été transposé récemment en droit français avec un statut limité équivalent (5 M€/mois en plafond d’activité et 100 K€ de capital minimum au lieu de 350 K€).
Ces statuts limités sont nationaux et non passeportables en Europe.
La réception des fonds pour les opérations d’investissement en capital reste une capacité juridique liée au statut de la plateforme (Prestataire de Service d’Investissement par exemple) et indépendante de la contrainte de monnaie électronique édictée par l’ACP (y compris pour les transactions de paiement électronique). Point à noter, un statut en exemption nationale ne peut intégrer de réception de fond (article 3 exemptions optionnelles de la Directive MIFID) – les Conseillers en Investissements Financiers sont une exemption française-.
Conditions du « safe harbor »
Le « safe harbor » serait établi dans un cadre très précis :
- Test d’adéquation des investisseurs
- Accès restreint des investisseurs à un site internet de présentation des offres
- Sélection des projets avec due diligence
- Présentation de plusieurs projets entrepreneuriaux pour que l’investisseur exerce son choix (et ne soit pas contraint vers un seul projet)
2 statuts serait proposés :
- Un PSI RTO réception de fonds (Prestataire de Service d’Investissement Réception Transmission d’Ordre) avec un capital minimum de 125K€ et une « exemption » de la notion de placement non garanti
- Cette « exemption » est doctrinale et représente l’avancée majeure de l’ACP sur le sujet. Elle est doctrinale dans le sens où dans aucun autre pays d’Europe à ma connaissance, les opérations d’investissement dans les conditions d’exemption de l’Offre Publique de Titres Financiers sont caractérisées comme des opérations de placement non garanti (avec un PSI à capital minimum de 730 K€).
- Le statut de PSI RTO réception de fonds n’est pas une exemption de la Directive Européenne MIFID. Il s’agit d’une interprétation jurisprudentielle de sa transposition en droit national et donc en toute conformité avec la législation européenne.
- Un CIP (Conseiller en Investissement Participatif), qui serait une déclinaison du statut d’exemption national du CIF (Conseiller en Investissement Financier) avec un capital minimum de 50K€ obligatoirement lié à une plateforme internet pour les opérations de financement participatif.
Du fait de la complexité du sujet du statut pour l’investissement en capital, il faudra attendre d’avoir les propositions détaillées pour en faire une analyse plus approfondie (et le diable est dans les détails).
Prêt en financement participatif pour les particuliers
Il s’agit là d’une avancée très notable de l’ACP. Il faudra là encore attendre d’avoir la proposition détaillée pour en savoir plus. L’ACP n’a pas voulu donner de montants préconisés pour les seuils (par prêteur, par projet, par nombre de prêteurs par projet) -puisqu’ils sont fixés par décret du gouvernement- mais elle a indiqué qu’elle préconiserait des seuils « bas ».
Le seuil de montant cumulé par prêteur par an (période de 12 mois) n’a pas été retenu pourtant il me parait le plus pertinent pour gérer le risque majeur qui est l’exposition maximale de la surface financière du prêteur sur les projets par an.
Quelques éléments de positionnement :
- Montant maximum cumulé par an par prêteur dans le Job Act US : 2000$
- Montant maximum cumulé par an en monnaie électronique (en connaissance client standard) : 2500€
- Montant maximum d’une transaction unitaire en paiement électronique (en connaissance client standard) : 250€
- Montant maximum cumulé par an en monnaie électronique (en connaissance client certifiée) : 5000€
- Montant maximum d’une transaction unitaire en paiement électronique (en connaissance client certifiée) : 1500€
On peut s’attendre, dans l’approche « proxy monnaie électronique » actuelle à un montant maximum par prêteur par projet de 250€ à 1500€ (selon les diligences de connaissance client).
Le montant maximum par projet n’a comme référence que les plafonds de risque des investissements en capital à savoir de 100K€ à 300K€ (le nouveau plafond proposé).
Je n’ai pas de référence sur le nombre minimum de prêteur par projet mais il n’a d’importance que pour les projets de petits montants, sur ceux de montant plus important, il est conditionné par le plafond par prêteur.
La capacité donnée aux particuliers n’est cependant qu’une composante. Il est aussi nécessaire que la plateforme puisse collecter les fonds, structurer la relation contractuelle et gère la vie du projet dans la durée pour compte de tiers. Ce qui n’est pas acquis à ce stade.
L’ACP a indiqué que lors de la consultation ouverte, cela ferait réagir les acteurs en monopole actuellement sur ces activités. Sur ce point, je suis assez confiant car :
- La compréhension du crowdfunding par les banques et surtout de ses complémentarités plus que de sa concurrence a beaucoup progressé notamment sur le type de projet et les motivations des financeurs
- L’activité de crowdfunding est encore perçue comme risquée en terme d’image et difficile sur le plan opérationnel du fait de la transparence des opérations. Il n’est donc pas évident que les banques soient intéressées d’y aller en direct.
Opérations cross-border
Une petite discussion a eu lieu sur les opérations cross-border et surtout sur le risque que les plateformes US financent des projets français avec des capitaux français, internet étant nativement cross-border.
Cela est illustré par le cas du projet « Plug » « Une startup française lève 118 000 dollars en 24 heures sur Kickstarter et finance son projet en à peine 12 heures« .
Aujourd’hui tout est déjà possible dans le cadre du droit existant : voir la partie « Commercialisation transfrontalière » de l’article suivant. Tant que le Job Act n’a pas été transcrit en règles d’application, les USA ne sont pas compétitifs sur le crowdfunding en capital mais il faut s’attendre à ce que cela arrive. C’est pourquoi il est aussi important de penser en terme de compétitivité des conditions d’opération des plateformes qui ont pour vocation d’être cross-border au-delà de la réglementation nationale.
Pingback: Propositions ACP/AMF sur le financement participatif (crowdfunding) | TravelSquare
Bonjour,
Merci beaucoup pour cette restitution qui ne fait que renforcer le caractère de plus en plus complexe de la réglementation sur la finance participative. Les barrières à l’entrée et l’absence de visibilité sur le caractère pérenne des nouvelles mesures ne me paraissent pas de nature à favoriser les nouveaux projets en France ce que je regrette.
Il me parait tout à fait évident que les opérations cross-border vont se multiplier dans l’equity ce qui représente une menace pour les startups françaises qui sont pionnières dans ce domaine.