J’ai réalisé une session de présentation du financement participatif à « L’Ecole des Banquiers » pour la practice Finance d’OCTO (le 28/07) . Cette présentation est consultable sur slideshare. Cela m’a donné l’opportunité de formaliser ma vision du positionnement des différents acteurs et des différents modèles sous-jacents avec le retour d’expérience de FriendsClear et du suivi du marché sur plusieurs années.
Ma constatation principale est que le financement participatif :
- Repose fondamentalement sur la psychologie des comportements de financement (dans le sens d’investissement, placement) des utilisateurs et notamment sur leur type et leur niveau d’implication dans les projets proposés (le sous-jacent).
- Sont totalement indépendantes des catégories règlementaires (ce qui est logique puisque les catégories règlementaires ne reposent pas sur la psychologie des utilisateurs).
Cette remarque peut paraitre triviale mais les produits financiers traditionnels font abstraction de la psychologie des utilisateurs et se restreignent à une logique financière évacuant en “externalités” toutes autres composantes de décision (notamment des critères de développement durable, de socialement responsable, d’éthique ou de philanthropie considérés comme “marketing” par les financiers).
Dans le financement participatif, un lien direct est établi entre le financement accordé et le projet (ou l’actif sous jacent) financé. Ce « produit » permet donc une implication plus forte de l’utilisateur qui peut jouer à deux niveaux :
- Implication projet
- Implication financière
L’implication projet repose sur le choix du projet (ou l’actif sous jacent) pour ses caractéristiques propres indépendamment de toute considération financière. Cela peut reposer sur la localisation (région, ville), le secteur d’activité, le profil du porteur de projet (jeune, femme, personne en réorientation professionnelle,…), le type du projet (développement durable, solidaire, innovation, culturel,…), le projet lui-même dans son unicité, son potentiel de développement, une empathie pour le porteur de projet, etc… Cette possibilité de choix au niveau le plus fin de granularité est n’est offerte que par le « produit financier » financement participatif.
L’implication financière repose sur le choix du projet (ou l’actif sous jacent) pour ses caractéristiques financières (risque, rendement) mais là encore à un niveau de granularité supérieur à tous autres produits financiers. L’utilisateur a la possibilité d’exercer son choix afin de se constituer un portefeuille de projets (d’actifs) ayant les caractéristiques financières (risque, rendement) recherchées. Il peut exercer ses facultés pour identifier et exploiter les critères qui lui permettront de sélectionner les actifs aux meilleures performances.
A travers ce critère d’implication projet et financière, une première catégorie oppose les modèles « non basés sur le profit » (implication projet forte et implication financière faible) des modèles basés sur le profit (implication projet forte ou faible et implication financière forte).
La catégorie « non basés sur le profit » regroupe plusieurs modèles :
- Financement sans taux d’intérêt de projets d’entrepreneurs dans les pays en voie de développement (Kiva, Babyloan, MicroWorld,…)
- Financement en échange de contributions du projet (places en avant première de concert, bonus et « making of » du projet, édition limitée, exemplaires du produit réalisé,…) (Ulule, Babeldoor,…).
- Financement en coproduction d’un artiste ou production artistique avec des composantes contributives et de « sponsoring » (places en avant première de concert, édition limitée,…) (My Major Company, People For Cinema, My Show Must Go On, Tous Coprod,…).
L’implication projet repose sur un mécanisme psychologique d’adhésion à une « cause » similaire à celui des souscriptions publiques utilisées notamment dans la presse (qui s’appuyait en cela dans son pouvoir de mobilisation de masse).
On retrouve la même notion d’un montant du ticket minimum de financement faible afin de le rendre accessible au plus grand nombre et de valider l’opportunité du projet par cette adhésion de masse.
Cette logique d’adhésion de masse conduit néanmoins à limiter la récurrence des financements apportés par chaque utilisateur (qui ne retrouvera pas forcement d’autres projets à « adhérer » ou sera satisfait d’une seule “cause”) ainsi que le montant unitaires de chaque financement apporté et au final le montant moyen du ticket moyen (annuel) par utilisateur est faible. Le problème de ce modèle est donc de se rentabiliser avec beaucoup de transactions unitaires de faible montant et des besoins constants d’acquisition de nouveaux utilisateurs.
L’implication financière est faible car ce n’est pas le critère de choix et, eu égard aux montants limités de chaque utilisateur, il n’est pas possible d’y appliquer une logique financière (pour une mise de 25€, 100% de rendement ne rapportera au final que 50€).
A l’opposé de ce premier modèle, le modèle basé sur le profit repose sur l’implication financière des utilisateurs et cela les conduit à engager des montants moyens (annuel) par utilisateur beaucoup plus important. Les montants unitaires minimum des tickets peuvent être aussi à des niveaux faibles (bien que supérieur), il s’agit là surtout d’une logique d’adoption « try & buy » pour proposer un ticket d’entrée faible avec une logique d’augmentation des tickets unitaires et de récurrence des financements sur la période.
A partir de là, trois modèles distincts doivent être, à mon avis, différenciés en fonction de l’implication projet des utilisateurs :
- Le modèle « Activiste » fondé sur le choix de projets spécifiques ayant fait l’objet d’une analyse préalable assez similaire au modèle du « business angel »
- Le modèle de « Portefeuille » où l’utilisateur sélectionne automatiquement des projets en fonction de caractéristiques qu’il établit (à la fois les traditionnelles caractéristiques financières de risque / rendement mais aussi de localisation, de type de projet, d’exclusion de certaines caractéristiques,…) avec la possibilité de revoir l’ensemble des projets « préselectionnés » et de faire un « Go / No Go » pour chacun d’eux.
- Le modèle de « Fonds » où les projets (actifs sous-jacents) sont regroupés dans des « packages » aux caractéristiques financières déterminées que les utilisateurs peuvent sélectionner. Ce modèle apporte une mutualisation des pertes éventuelles à l’intérieur de chaque package mais ne permet généralement pas d’avoir une traçabilité unitaire des projets (actifs sous-jacents).
Le modèle « activiste » est logiquement celui des « business angel » participatif qui interviennent en capital comme le fait Wiseed (et comme le faisaient FaisonsAffaires et Investigo aujourd’hui arrêtés). C’est aussi le modèle de FriendsClear où les utilisateurs choisissent les projets et touchent la quote part correspondante des échéances (capital + intérêt) des financements mis en place sous forme de prêt. C’est aussi le modèle de certains utilisateurs de My Major Company qui ont une logique et un comportement financier et qui y financent des montants importants dans une perspective de gain et non de « sponsoring » (les 2 types de comportement “sponsoring” ou “financier” sont possibles chez My Major Company).
Le modèle de portefeuille est celui mis en œuvre par les acteurs américains leaders historiques du P2P Lending (financement participatif sous forme de prêts souvent –incorrectement – traduit en “prêts entre particuliers) comme Lending Club (15M$ prêts/mois, lancé en 2007) et Prosper (4M$ prêts/mois, lancé en 2006). C’est aussi ce modèle que les analystes de la Deutsch Bank considèrent comme l’avenir du P2P Lending du fait de ses possibilités d’automatisation (« Welcome to the machine » est le titre de leur étude) et permettant une plus grande démocratisation du modèle.
Le modèle de fonds est celui initié par Zopa en Angleterre et qui lui réussit bien (8M$ prêts/mois, lancé en 2005). C’est le modèle le moins « participatif » qui se rapproche plus d’un modèle « Désintermédié low cost » pour offrir des actifs de prêts personnels à haut rendement à des investisseurs.
Le tableau ci-dessous reprend ces éléments :
Ces catégories d’usage qui viennent d’être listées ne recouvrent pas du tout les catégories définies par la règlementation et notamment les distinctions entre :
– Investissement en capital ou en prêt, voire contrat de coproduction s’assimilant à une commandite pour My Major Company
– Titrisation, détention en direct, financement adossé
– Avances remboursables, don, créance
– Financement, refinancement.
Pourquoi ?
Parce que ces catégories règlementaires ne recouvrent pas la manière dont les gens appréhendent le financement participatif :
- Ils ne sont pas intéressé par la manière dont le financement va être mis en place (capital, prêt, contrat de coproduction) mais uniquement par le financement du projet
- Ils sont indifférents au fait qu’il s’agissent d’un financement préalable ou d’un refinancement de projet déja financé au préalable.
Pourquoi cela peut-il poser problème ?
Parce que les catégories règlementaires sont censées apporter un cadre de compréhension des mécanismes financiers à destination du public. Par exemple :
- Le capital est censé être un placement risqué à fort rendement
- Le prêt est censé être un placement peu risqué à faible rendement.
De ce “cadre de compréhension” découlent la manière dont la règlementation traite chaque catégorie :
- La collecte de fonds en capital entraine des contraintes fortes en terme d’information des investisseurs et un processus d’incorporation des fonds contraignant mais d’une très grande latitude une fois ces étapes franchies (les investisseurs sont censés savoir les risques qu’ils prennent). C’est ce qui explique que des institutions, très loin du modèle du “business angel” ou du “venture capitalist” comme Terre de Liens émettent des titres d’Offre au Public de Titres Financiers (OPTF) pour collecter des fonds (notice AMF).
- La collecte de fonds pour du financement sous forme de prêt nécessite moins de contraintes et est plus facile à mettre en oeuvre mais se révèle très contraignante à la suite du fait de la présomption de faible risque qui doit être maintenue dans l’utilisation faite des fonds.
- La collecte de fonds pour la coproduction est facilité mais elle ne s’applique qu’à des usages très limités.
Le tableau suivant reprend ces points :
Caractéristiques | Contraintes de collecte des fonds | Contraintes de mise en œuvre du financement du projet | Contraintes de contrôle de l’utilisation | |
Capital | Risque fort | Fortes | Fortes | Faibles |
Rendement fort | ||||
Prêt | Risque faible | Faibles | Faibles | Fortes |
Rendement fort | ||||
Coproduction | Risque très fort | Faibles | Faibles | Faibles |
Rendement très fort |
Il se manifeste là une incohérence entre le “cadre de compréhension” traditionnel et les nouveaux modèles de financement, par exemples :
– Les fonds de microfinance sont interdits en France car les actifs qu’ils financent en prêt sont considérés comme trop risqués
– Les financements collectés en capital par des institutions telles que Terre de Lien ne présentent pas le caractère d’actifs risqués à haut rendement associé au processus d’investissement en capital
– Les financements en microcrédit (-25.000€ selon la définition européenne) effectués en prêts sont bien des financements risqués mais en toute connaissance de cause de ceux qui les financent.
Le problème principal des nouveaux modèles de financement est donc celui de leur adoption et notamment par rapport au “cadre de compréhension” traditionnel (mais ça, on le savait déja !).