Cet article a été rédigé en collaboration avec SIA Conseil et est publié conjointement sur leur (excellent) blog Finance & Stratégies (le lien est ici).
Les annonces de lancement de moyens de paiement innovants foisonnent dans les medias. Kwixo, Buyster, Pay2you sont autant de nouveaux services venant alimenter un marché en plein développement, dont la motivation est de proposer des solutions de paiement à valeur ajoutée, alternatives aux services traditionnels offerts par les banques. Pour décrypter le développement de ce nouveau marché, nous nous sommes appuyés sur l’étude d’un panel de services innovants proposés par différents acteurs, qui nous permet de dresser un premier état des lieux.
Retour sur la règlementation
Les directives européennes monnaie électronique 1 et 2 (DME 1 et DME 2) de 2000 et de 2009 ainsi que la directive européenne sur les services de paiement (DSP) de 2007 instaurent un cadre règlementaire européen autour des activités d’émission et de gestion de monnaie électronique et de prestation de services de paiement. Ces nouvelles directives ont ouvert le champ au développement d’une large gamme de services de paiement novateurs, en s’appuyant notamment sur de nouveaux acteurs : les établissements de monnaie électronique et les établissements de paiement, qui développent ces services en propre ou en marque blanche.
A cet effet, depuis l’application de la directive sur les services de 2006, la libre prestation de services permet à des offres nationales de s’appuyer sur des licences acquises par des prestataires venant d’autres pays de l’Union européenne, proposant une fonction de paiement à des acteurs tiers qui en assurent la commercialisation et l’intégration de services complémentaires. Mais en laissant à chaque Etat la latitude d’ajuster certaines conditions d’agrément et d’exercice (audits de sécurité, seuils d’opérations, contraintes de KYC…), le régulateur a ouvert la porte à l’utilisation massive de ce passeport européen. Ceci est d’autant plus vrai que les dates de transposition sont parfois très éloignées d’un pays à l’autre. Ainsi, certains acteurs n’hésitent pas à demander un agrément en dehors de leur pays d’origine.
Diversité des offres proposées
On note que les demandes d’agrément viennent majoritairement d’entreprises innovantes dans le domaine de la monétique ou d’Internet. Ces demandes visent à développer des offres variées dans le domaine du transfert de fonds et des flux (virements, prélèvements).
Toutefois, sur un périmètre européen, on constate que les services innovants sont relativement diversifiés en termes :
- De profils règlementaires : les services reposent sur des licences acquises en propre auprès des autorités nationales, bénéficiant de la procédure de passeport européen ou s’appuyant sur une tierce prestation de licence nationale voire européenne. Les procédures de passeport européen et de tierce prestation de service permettent ainsi de démultiplier les initiatives dont le nombre n’est désormais plus borné par la quantité d’agréments distribués par l’autorité de régulation nationale
- D’offres : les offres portent sur des services de micropaiement, de paiement Internet (e-commerce, monétisation d’audience), de paiement mobile, de paiement prépayé, de paiement affinitaire…
- D’acteurs : le profil des acteurs est très varié, des banques (mutualistes pour le moment) aux grandes multinationales spécialisées (télécom, Internet, processeurs) en passant par de petites start-up
Le tableau ci-dessous dresse la synthèse d’une étude que nous avons réalisée sur un panel de 16 services innovants.
En termes de cible, l’essentiel des offres proposées sont développées pour le marché retail (offre de services de paiement pour les particuliers et d’encaissement par les commerçants), ce qui permet de toucher un large public et potentiellement de générer d’importants volumes de transaction rapidement.
Les offres pour les grands corporate ne sont donc pas encore très développées en dehors de l’exemple de Slimpay, proposant un service de gestion de mandat. La pénétration du marché y est plus complexe sur ce segment et les activités de gestion des flux financiers, d’importance stratégique, restent traditionnellement confiées à des acteurs reconnus de premier plan.
Bénéficiant de l’essor de la mobilité et de l’Internet, les nouveaux services de paiement se positionnent comme étant flexibles, peu chers et sécurisants. Ainsi, pour les acteurs bancaires dont les services de paiement traditionnels sont occasionnellement incriminés sur ces aspects, il se pose la question du couplage avec ces services alternatifs dans leur offre bancaire. Cette voie, expérimentée à l’étranger, n’est encore qu’à l’état d’esquisse en France.
Une stratégie de développement de plus en plus basée sur des partenariats
Dans ce marché, en pleine construction et en recherche de nouveaux modèles, aboutissant à un foisonnement d’offres et d’acteurs, peu ont déjà atteint le point mort de leur activité. La construction d’une base client et d’un réseau d’acceptation assez large, ainsi que d’un système de commission à la fois rentable et attractif pour les utilisateurs n’est pas une alchimie facile à mettre en œuvre. Dans un tel contexte, le développement de partenariats permettrait de mutualiser rapidement les savoir-faire et les bases clients / commerçants ainsi que de consolider un marché dont la fragmentation ne peut être viable à long terme.
Contrairement aux idées reçues, présentant l’ouverture du marché des paiements comme une confrontation directe entre les acteurs traditionnels (banques, systèmes cartes, processeurs de paiement) et les nouveaux entrants, la majeure partie des modèles économiques se situent dans une démarche de complémentarité. Celle-ci est souvent nécessaire pour développer de nouveaux services complets, permettre l’accès aux infrastructures, bénéficier de la marque d’un acteur reconnu et réaliser une pénétration du marché efficace.
Evolution à venir
Dans ce paysage très dynamique, des niches restent encore à occuper. Cependant, suite à l’ouverture du marché des paiements, une consolidation est à attendre, au détriment des acteurs les moins bien armés. Cette sélection conduirait à terme à une plus grande sobriété des offres et à l’émergence de « champions » sur chacun des segments considérés. La coexistence d’offres similaires auprès des mêmes commerçants et clients parait peu probable car elle ne permettrait pas de générer les volumes suffisants pour chacun. Dans ce contexte, la proposition d’un parcours client séduisant et efficace dès la phase de recrutement, mais aussi la capacité de rétention et de pérennisation des modèles proposés seront autant de facteurs clés de réussite.