Une banque a-t-elle le droit de faire du financement participatif ?

Ce billet inaugure un nouveau genre : la réglementation fiction.

La question posée dans le titre est une question rhétorique. Il est évident qu’une banque, dotée du statut d’établissement de crédit de plein exercice, le plus haut dans la hiérarchie des normes bancaires du Code Monétaire et Financier, est en capacité de faire du financement participatif. Et cela d’autant plus que les banques bénéficient avec la clause dite du « grand-père »  de l’ensemble des capacités des statuts créés par la suite. Une banque bénéficie ainsi, sans aucun agrément spécifique, du statut d’établissement de paiement et d’établissement de monnaie électronique. Par ailleurs, un principe constitutionnel du droit veut que toute activité qui n’est pas interdite est autorisée.

Néanmoins le régulateur ne se sent assujetti ni au principe de réalité ni au principe de cohérence et il lui est donc possible de faire preuve d’une créativité certaine comme il l’a déjà montré. L’interdiction du financement participatif aux banques pourrait en être.

D’abord quels sont les établissements qui sont concernés ?

Voyons en détail comment ces modèles opèrent :

Crédit Agricole / FriendsClear : Dans ce dispositif, les particuliers doivent lors de la sélection du projet à financer (projets professionnels de petites entreprises) déposer  le montant correspondant sur un compte bancaire personnel ouvert pour l’occasion et dédié à leurs opérations de financement participatif. Lorsque le financement du projet est bouclé, il est accordé sous la forme d’un prêt émis et géré par le Crédit Agricole et les montants correspondants de chacun des particuliers financeurs sont bloqués sur un compte à terme ou  un compte de dépôt à vue rémunérée bloqué. Les comptes servent alors de caution pour la totalité du montant financé du projet à hauteur de la part financée par chacun des financeurs. En cas de défaut des remboursements du prêt accordé au projet, le risque est supporté par les particuliers via le dispositif de cautionnement du compte. [La version décrite ici est la version originelle, une version modifiée suite aux remarques de l’ACP ayant aussi été en activité].

La Nef a mis en œuvre un modèle proche de celui de FriendsClear (nous leur avions présenté notre modèle en 2010). Il a d’abord été mis en œuvre « au guichet » avec une personne référente en charge d’accueillir et de monter les dossiers ad hoc de financement participatif (sans site internet – ce qui permet accessoirement de rester sous le radar de l’ACP). Dans cette première version, ce sont les sociétaires de la Nef qui identifiaient des projets et se regroupaient pour proposer de les financer à la banque. Une fois les projets ayant été analysés et approuvés par l’équipe de La Nef, les financements des particuliers étaient bloqués sur des comptes de Dépôt A Terme rémunérés avec un nantissement partiel de ceux-ci sur le prêt accordé par La Nef.  En cas de défaut des remboursements du prêt accordé au projet, le risque est supporté partiellement par les particuliers via le dispositif de cautionnement partiel du compte. Le système a été ensuite ouvert sur internet. Les projets peuvent alors être financés par des non sociétaires et il est possible de choisir le niveau du cautionnement accordé (entre 50% et 75%).

Les cas des opérations du Crédit Agricole / Coopérative de Loué et Crédit Coopératif / Valorem sont similaires. Dans les deux cas, il s’agit d’une opération de financement principale (le financement par prêt d’une ferme éolienne) réalisée avec des instruments de financement traditionnels (prêts bancaires) mais dont une partie et ouverte et réservée à un financement participatif. Les montants correspondants sont directement collectés par la banque soit par l’action commerciale directe de celle-ci soit par l’action commerciale de l’opérateur du parc éolien. Cette opération se fait généralement en démarchant les citoyens directement impactés par la construction du parc éolien ou appartenant à la zone locale bénéficiant du parc éolien. Ce financement n’est pas nécessaire par rapport à la capacité de financement principale. Cependant il permet d’impliquer les citoyens dans un projet local de développement durable et d’améliorer son acceptabilité sociale. Les financements collectés auprès des particuliers sont déposés sur un compte à terme totalement indépendant du projet à part le nom qui lui est donné. Ce compte ne supporte aucun risque. La mise en place de l’opération peut être totalement marketing (le financement est accordé indépendamment de la collecte qui n’est qu’un affichage marketing) ou réelle (le financement accordé, même consolidé, repose sur la réussite de la collecte auprès des particuliers qui est reversée au projet).

SPEAR permet de soutenir des projets solidaires en bonifiant les taux accordés par leur partenaire bancaire, le Crédit Municipal de Paris (rejoint par le Crédit Coopératif et la Société Générale), en échange de dépôt des fonds collectés auprès des particuliers pour les montants à financer auprès de l’établissement prêteur sous la forme d’un compte épargne rémunéré. Les montants financés par les particuliers ne sont pas directement versés à la banque mais collectés dans un « véhicule «  intermédiaire qui est dans le cas présent une coopérative (qui joue le rôle d’un fonds). Cela permet de n’avoir qu’un seul compte épargne auprès de la banque partenaire et de remettre un titre (une part de coopérative) aux particuliers en contrepartie de leur financement. Un intérêt de 2% correspondant aux intérêts du compte épargne est ensuite versé en dividende du titre de la coopérative. Les projets doivent par contre être acceptés par la banque partenaire car c’est elle qui porte l’intégralité du risque du prêt.  Les particuliers ne courent aucun risque mais cela est très théorique car ils ne récupèrent  pas leur capital (puisqu’il s’agit de part de coopérative). Ils peuvent néanmoins demander le remboursement de leur part dans la coopérative (ce qui théoriquement devrait impacter la bonification du prêt du projet financé).

Prêt d’union est un cas très spécifique (« à la française » dirai-je si je voulais être ironique). Dans ce cas c’est la plate-forme-qui est elle-même un établissement bancaire. Il s’agit d’un cas unique que l’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Le service est à la fois établissement de crédit pour accorder des prêts aux particuliers en compte propre, de la même manière que le font les établissements spécialisés tels Cofidis ou Cetelem,  une société de gestion pour gérer un fonds obligataire qui est investi pour financer les prêts accordés et un prestataire de service d’investissement pour distribuer les obligations (non cotées) émises par le fonds auprès d’investisseurs professionnels. Les obligations émises étant considérées comme « exotiques » par le régulateurs, elles ne sont pas distribuables auprès des particuliers et depuis le décret de novembre 2012 qui transpose la Directive Prospectus de 2010, la notion « d’investisseur qualifié » a été supprimée pour ne laisser subsister que la notion « d’investisseur professionnel » (les particuliers ayant une surface financière en actifs financiers de plus de 500K€ et faisant plus de 25K€ de transactions financières par an se retrouvent automatiquement investisseurs professionnels).

Qu’est-ce qui peut poser problème au régulateur dans ces opérations de financement participatif faites par des banques ?

Pour cela reprenons la définition de l’établissement de crédit (la banque) et de l’opération de crédit :

  •  Article L311-1 : « Les opérations de banque comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit, ainsi que la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement ».
  • Article L511-5 »Il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel »
  • Article L313-1 : « Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à disposition d’une autre personne ou prend dans l’intérêt de celle-ci un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie ».

Au passage pour les connaisseurs, vous noterez :

  • que la définition de l’établissement de crédit et du monopole bancaire est très extensive en France. Elle inclut ainsi les moyens de paiement à la différence de tous les autres pays européens. Ce qui a nécessité quelques contorsions réglementaire lorsqu’il a fallu intégrer les notions d’Etablissement de Monnaie Electronique et d’Etablissement de Paiement (qui ne sont pas des établissements de crédit).
  • Encore plus problématique, cette définition n’est pas conforme avec la définition d’établissement de crédit en droit européen : « une entreprise dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte » (la définition du crédit ne l’est pas non plus mais, à ce stade, on s’en serait douté). Cela promet sur la mise en conformité avec la réglementation européenne.

Le problème vient de la notion extensive d’engagement (aval, cautionnement, garantie) qui caractérise une opération de crédit dans le Code Monétaire et Financier français. Il faut bien comprendre que seule la banque est en droit de prendre ces engagements pour son propre compte. Si un tiers prends ces engagements à la place de la banque et que cette activité est régulière et qu’il en tire un bénéfice, alors il réalise une opération de crédit. Opération illégale puisque réservée aux seuls établissements de crédit par le monopole bancaire. Et que ce soit une banque qui serve d’intermédiaire ne change rien à la situation : la banque est alors dans une situation de recel d’opérations de banque au bénéfice des particuliers qui prennent les engagements. Et que l’engagement soit partiel ou total ne change rien à la qualification de la situation.

Revisitons donc les différents modèles exposés :

  • Crédit Agricole / FriendsClear : Il y a engagement donc activité illégale de banque
  • La Nef : Il y a engagement donc activité illégale de banque.
  • Crédit Agricole / Coopérative de Loué et Crédit Coopératif / Valorem : S’il y a conditionnalité de la réussite de la composante de financement participatif au versement de celle-ci dans le la participation au financement global alors une relation d’engagement est matérialisée et donc une opération illégale de banque. S’il ne s’agit que d’une opération marketing totalement indépendante du financement bancaire réalisé alors cela ne pose pas de problème…à la division des agréments (la division des pratiques commerciales bancaires pourra par contre trouver à y redire pour communication mensongère).
  • SPEAR : Il y a engagement mais cela porte sur la bonification du taux et la coopérative joue le rôle de « véhicule d’interposition ». Il semble donc difficile de caractériser une infraction dans ce cas.
  • Prêt d’Union : Les opérations de crédit sont menées en compte propre et les financeurs sont des investisseurs professionnels qui reçoivent des titres financiers d’une opération de titrisation. Il semble donc difficile de caractériser une infraction dans ce cas (voire une opération de financement participatif).

Cette définition est même problématique pour la banque traditionnelle car celle-ci utilise des opérations d’aval, cautionnement, garantie sans en contre vérifier les sources (il n’y a pas de fichier centralisateur des engagements). Un particulier peut donc exercer de manière répétée et habituelle des engagements sans que les établissements bancaires qui en profitent s’en aperçoivent et s’exposent au risque de recel d’opérations bancaires hors monopole.

Je rappelle que le recel d’opération illégale de banque vaut suspension de la licence de banque et interdiction de continuer à opérer.

Il peut paraître assez surprenant qu’une banque puisse être accusée de recel d’opérations de banque. Ce serait un peu la même chose qu’un médecin soupçonné d’exercice illégal de la médecine. Mais comme le cas s’est déjà produit…

En fait le régulateur privilégie très clairement les dispositifs marketing à d’autres dispositifs de financement réel. Il privilégie aussi les véhicules d’interposition de telle manière à éviter tout contact direct entre les financeurs et les projets.

Ce qu’il faut aussi bien comprendre, c’est que tant que le régulateur n’a pas formalisé et communiqué par écrit sa position, il est en capacité d’avoir toutes les interprétations possibles et imaginables sans aucune conséquence. Et lorsqu’il a formalisé sa position, celle-ci est encore conditionnelle « de l’interprétation souveraine des tribunaux français ». Il faut donc qu’il y ait constatation et plainte et que la procédure judiciaire aille au bout. Cela laisse le temps au gouvernement et au législateur d’adapter le contexte légal du financement participatif…sauf pour les banques pour lesquelles le régulateur a toujours des moyens de pression du fait de la diversité des sujets qu’elles traitent en continu avec lui.